Les nouveaux chantiers de l'Afrique

Publié le 12/06/2010 à 00:00

Les nouveaux chantiers de l'Afrique

Publié le 12/06/2010 à 00:00

Par Suzanne Dansereau

L'Afrique change vite. Après l'indépendance, les 54 pays du continent verront-ils enfin la prospérité ? Nous sommes allés au Cameroun et nous avons interrogé plusieurs intervenants clés afin de mesurer tant le potentiel économique que les risques de ce marché émergent pour les entrepreneurs québécois.

Au moment où a lieu la première coupe du monde de soccer en Afrique, le continent connaît un redémarrage spectaculaire. Hormis la crise financière qui a fait chuter ses exportations et gelé son accès au crédit en 2008, l'Afrique a connu une croissance soutenue au cours des cinq dernières années, supérieure à celle des pays occidentaux.

Libérés de l'endettement et jouissant d'une inflation modérée, les gouvernements africains s'engagent dans le développement économique et mettent en oeuvre des réformes favorables à l'entreprise privée.

Les investissements sur le continent se multiplient et leurs origines sont diverses. On y voit les Chinois, qui ont porté les échanges commerciaux sino-africains à 100 milliards de dollars en 2008, mais aussi les Indiens, les Coréens du Sud, les fonds souverains du golfe Persique, le Brésil, le Maroc... L'époque où l'Afrique dépendait de ses colonisateurs européens ou des Américains est révolue. Il s'agit d'un retournement majeur de l'histoire.

De nombreux défis

Détenant un pourcentage important des réserves mondiales de cobalt, d'or, de cuivre, d'hydrocarbures, de fer, de bauxite et autres matières premières, l'Afrique est l'objet de bien des convoitises. Cependant, pour que sa croissance soit durable et se traduise par un développement véritable, elle doit développer ses infrastructures, clé d'une plus grande industrialisation et d'une plus grande intégration régionale, ont plaidé les panellistes qui participaient à la conférence " Afrique 21, une chance pour le monde, réalités et défis " qui s'est tenue les 17 et 18 mai dernier à Yaoundé, au Cameroun. La conférence, à laquelle nous avons assisté, réunissait des pays d'Afrique centrale et était organisée par le Cameroun.

L'absence de routes à l'intérieur du continent fait que l'immense marché africain - 54 pays et près de 1 milliard d'habitants - est morcelé, donc difficile d'accès. Le commerce à l'intérieur de l'Afrique ne représente que 8 % de ses échanges commerciaux, déplore la directrice générale adjointe de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Valentine Rugwabiza. " L'intégration régionale est la base, sinon nous allons rater le train ", a soutenu Em Goulu, économiste et ancien ministre de l'Énergie et des Mines du Bénin.

Pour acquérir les infrastructures et un secteur de la transformation qui lui font cruellement défaut, l'Afrique a besoin d'énergie. Le continent regorge d'un potentiel énergétique inexploité : à titre d'exemple, seulement 10 % du potentiel hydraulique est utilisé à l'heure actuelle. Il faudrait investir 350 milliards de dollars d'ici 20 ans pour que les Africains aient tous accès à l'électricité, mentionnait le pdg du producteur d'électricité camerounais AES-Sonel, Jean-David Bile.

Autre facteur limitatif : la faible gouvernance. L'instabilité juridique et fiscale dans plusieurs pays reste une menace pour les entreprises. Les conférenciers l'ont déploré à l'unanimité. " Votre souveraineté est acquise, mais il vous faut construire des États solides ", a mentionné aux participants Michel Marasse, membre du Conseil constitutionnel français.

" L'obsession de faire mieux et pour moins cher doit se répandre au secteur public ", a dit Richard Howe, président de Geovic Cameroun, propriétaire de gisements de cobalt.

Il reste à moderniser le secteur agricole. Il est " maladroit, stupide et dangereux que l'Afrique ne soit pas autosuffisante sur le plan alimentaire ", a déclaré l'ancien premier ministre français, Michel Rocard.

Quant aux conventions minières, qui seront prochainement revues, elles doivent être équilibrées. " Il n'est pas normal que [notre pays] ne gagne pas d'argent au moyen de ses gisements ", opinait Jean-Pierre Kedi, le secrétaire général du ministère de l'Industrie, Mines et développement technologique du Cameroun, lors d'un panel.

Mieux financer les entreprises

Le secteur privé local est en émergence en Afrique, et c'est lui qui créera une bonne partie des emplois dont les Africains ont tant besoin. Mais l'accès restreint au financement continue de représenter un frein important à son développement. Les banques font du microcrédit, mais ne prêtent pas à moyen ou long terme aux PME, déplore Kordje Bedoumra, vice-président de la Banque africaine de développement (BAD). La BAD entend tripler son capital au cours des prochaines années et intervenir dans le financement du secteur à capital fermé, a-t-il promis.

La démographie, locomotive de sa croissance

Les défis et les obstacles sont nombreux pour l'Afrique. Pourtant, Olivier Ray, chargé de mission de l'Agence française de développement et auteur d'un ouvrage intitulé Le temps de l'Afrique, publié en mars dernier, est convaincu que sa réémergence stratégique est inéluctable. (N.D.L.R. L'Afrique était stratégique dans les années 1950, à l'époque de la guerre froide). Son décollage aura lieu, on approche du point de bascule et sa croissance sera durable parce que structurelle, et non conjoncturelle.

Pourquoi en est-il si sûr ? " L'explosion démographique ", résume-t-il. La population de l'Afrique atteindra deux milliards en 2050. L'Afrique sera plus populeuse que l'Inde. La moitié des Africains ont moins de 20 ans. Cette population s'urbanise.

Même s'il reconnaît qu'à l'heure actuelle, les Africains souffrent d'un fort taux de chômage - problème que la fièvre bâtisseuse des Chinois ne résout pas - M. Ray croit que la croissance démographique et l'urbanisation créeront une densité qui favorisera le commerce, augmentera la productivité, et précipitera la révolution agricole.

Cette situation rendra aussi la livraison des services plus efficace. Au pire, selon lui, l'Afrique connaîtra une croissance moyenne de 5 % au cours des prochaines années. Ce qui, selon les économistes entendus à la conférence de Yaoundé, est insuffisant pour réduire la pauvreté. " Il faudrait le double " , disent-ils. Selon Olivier Ray, " les deux réalités - pauvreté et potentiel économique - coexisteront pendant un certain temps. Le temps qu'il faudra aux pays d'Afrique pour parvenir à éviter les conflits et à mieux défendre leurs intérêts en parlant d'une " seule voix ", comme l'a souhaité le président de la commission de l'Union africaine, Jean Ping.

LE CONTEXTE

UNE MINE D'OR

46,2 Valeur du capital minier africain, en billions de dollars américains.

UNE RELATION D'ÉGAL À ÉGAL ?

" La Chine se présente en alter-égo et veut bâtir des relations gagnant-gagnant avec l'Afrique. "

- Olivier Ray, chargé de mission, Agence française de développement

LA CHINE DÉBARQUE EN AFRIQUE

750 000 Nombre de Chinois établis en Afrique en 2009

UNE DÉMOGRAPHIE JEUNE

50 % des Africains ont moins de 20 ans.

L'AIDE INTERNATIONALE, UN CATALYSEUR

" L'aide à l'Afrique n'est pas une source de développement, mais un catalyseur. "

- Valentine Rubwabiza, directrice générale adjointe, Organisation mondiale du commerce

L'AGRICULTURE, UN INCONTOURNABLE

800 Nombre d'hectares, en millions, de terres arables en Afrique

Sources : Afrique Commodities, Le temps de l'Afrique, Olivier Ray,

Ce reportage a été effectué à l'invitation du gouvernement du Cameroun et organisé par Afrique expansion.

suzanne.dansereau@transcontinental.ca

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