Les leçons d'un flop informatique

Publié le 27/11/2010 à 00:00

Les leçons d'un flop informatique

Publié le 27/11/2010 à 00:00

Par Suzanne Dansereau

Dur, dur de moderniser votre système informatique ? Votre cas n'est pas isolé : près d'un projet sur trois échoue, selon un sondage mondial de la revue Software.

Contrairement à la croyance populaire, la technologie n'est pas le premier facteur d'échec.

C'est d'abord le manque d'engagement de la part de la haute direction qui fait avorter un tel projet. Ensuite, c'est son caractère trop ambitieux. Suivent l'insuffisance des aptitudes à la gestion, les dépassements de coûts et le manque de compétences techniques. Ces cinq facteurs ont miné le Dossier de santé du Québec, un cas d'école en matière d'échec informatique. La bonne nouvelle : on peut en tirer des leçons.

Pas de pilote dans l'avion

Le projet a-t-il son porte-étendard, un leader fort et crédible pour le faire avancer ? Est-il géré de façon continue et cohérente ?

En Alberta, c'est nul autre que le premier ministre Ralph Klein qui a mis sur les rails en 2005 la numérisation des données médicales dans la province, finalement réussie.

Au Québec, deux ministres, trois sous-ministres et quatre directeurs généraux se sont succédé en quatre ans à la tête du Dossier de santé du Québec (DSQ). Et, depuis la fin du mois de septembre, il n'y a même plus de pilote. Imaginez pareille situation dans votre entreprise !

Les changements de direction provoquent la "discontinuité", constate Guy Paré, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en technologies de l'information dans le secteur de la santé et professeur à HEC Montréal. Dans le cas du DSQ, M. Paré reproche au gouvernement d'avoir été "vite sur la gâchette" quand il s'est débarrassé de son premier patron. Au départ, le ministre Philippe Couillard avait choisi le Dr André Simard, un consultant privé, pour diriger le DSQ. À la fois médecin et expert en informatique, M. Simard comptait plusieurs réussites à son actif, dont la numérisation des centres hospitaliers universitaires et la Carte accès santé à la Régie d'assurance maladie du Québec (RAMQ).

M. Couillard a cependant quitté la politique et son successeur, Yves Bolduc, échaudé par le scandale des consultants privés qui s'étaient graissé la patte en Ontario (voir encadré "Quelques dérapages notoires"), a décidé que le ministère gérerait directement le DSQ. Le mandat de M. Simard n'a pas été renouvelé.

Au fil de ses ratés, le DSQ est devenu un irritant politique pour le nouveau ministre. Résultat : "Il n'y a pas de plan de match, pas de direction", déplore Lise Denis, directrice générale de l'Association québécoise d'établissements de santé et de services sociaux.

Un projet trop ambitieux

Dès le début, le plan de match du DSQ était "trop agressif et l'échéancier, irréaliste", commente Guy Paré, de HEC Montréal.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) le reconnaît : "La complexité du dossier a rendu la tâche plus ardue que prévu", a-t-il écrit en réponse à nos questions.

On a fait l'erreur de vouloir déployer en bloc toutes les composantes technologiques du projet, région par région. Par la suite, on s'est aperçu qu'il valait mieux procéder par étapes, en découpant le déploiement des composantes de façon distincte, en parallèle.

Le gouvernement a aussi voulu procéder de haut en bas. Au lieu de financer la numérisation des dossiers des médecins sur le terrain, il a préféré financer l'entrepôt qui doit héberger les données de tous les intervenants du système (médecins, pharmaciens, laboratoires, etc.). "Une mauvaise approche", croit Khaled El Emam, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les données électroniques en matière de santé de l'Université d'Ottawa. Les médecins, eux aussi, croient que Québec aurait eu avantage à commencer par le bas, comme l'a fait l'Alberta.

Pour créer cet entrepôt de données médicales, le gouvernement a dû négocier avec un nombre élevé d'intervenants (fournisseurs, consultants et intégrateurs) et d'utilisateurs (médecins, pharmaciens, gestionnaires d'hôpitaux, radiologistes, etc.) disposant d'un nombre "effarant" de systèmes informatiques distincts, selon le vérificateur général.

Et ce n'est pas terminé. "Quand on demande l'interopérabilité des solutions - c'est-à-dire que ces les différents systèmes informatiques de ces organisations puissent communiquer entre eux -, les risques d'embûches se multiplient, car chaque système a ses propres protocoles de communication. On ne sait pas lesquels seront compatibles ou non", explique Guy Paré.

"Trouver un langage commun a été un exploit", relate le Dr Marc Billard, responsable du DSQ au Collège des médecins du Québec, qui ajoute qu'on a sous-estimé les enjeux juridiques et que les questions de sécurité ont fait perdre beaucoup de temps et d'énergie.

Le facteur politique a été une circonstance aggravante. Quand on revoit un système, il y a beaucoup de décideurs à consulter. En santé, ils entretiennent un rapport de force avec le gouvernement. Plusieurs d'entre eux cherchent des concessions en échange de leur adhésion au DSQ, disent des personnes proches du dossier. "Des décisions ont été prises, non pas parce qu'elles étaient les meilleures, mais parce qu'elles étaient plus rentables sur le plan politique", affirme une source.

Une problématique qui touche de nombreuses entreprises lorsqu'elles se lancent dans des projets d'envergure, comme l'implantation d'un nouveau système informatique.

Aptitudes à la gestion insuffisantes

Les gestionnaires de votre entreprise sont-ils bien formés pour gérer des projets d'importance ?

Dans le cas du DSQ, les deux sous-ministres qui ont succédé à André Simard "n'avaient pas le même niveau de compétences" que ce dernier, estiment deux sources démissionnaires du dossier, qui ont demandé l'anonymat.

De plus, le DSQ est devenu une responsabilité parmi d'autres pour ces sous-ministres que nous n'avons pu joindre. Ils ont démissionné, l'un après l'autre. "Décisions personnelles", selon le MSSS.

La leçon à en tirer est limpide : veillez à embaucher des gestionnaires qui possèdent non seulement les compétences suffisantes, mais aussi la motivation nécessaire pour se consacrer à un tel projet.

Dépassements de coûts

Le ministre Yves Bolduc maintient que le coût du DSQ ne sera pas dépassé. Or, le vérificateur général du Québec croit qu'il pourrait doubler. En plus du DSQ, un entrepôt de données se bâtit en parallèle des dossiers médicaux électroniques que réclament les cabinets de médecins et les hôpitaux, et pour lequel le gouvernement n'a pas débloqué tout le financement nécessaire. Or, juste pour informatiser les données médicales des médecins en cabinet, on envisage une facture de 175 à 200 millions de dollars.

Chose certaine, le budget actuel de 563 M $ à Québec, par rapport au budget de 32,9 milliards de dollars du MSSS, est bien modeste si on le compare aux moyens financiers qu'ont déployés les banques pour numériser leurs données. Grosso modo, les banques investissent environ 4 % de leurs budgets par année en technologies de l'information.

Manque de compétences techniques

Le Canada et le Québec souffrent d'une forte pénurie de main-d'oeuvre qualifiée en technologies de l'information, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. "Le gouvernement Charest a coupé plusieurs postes à l'interne en TI et l'industrie privée paie mieux", dit Sylvain Simard, député péquiste et président de la Commission de l'administration publique de l'Assemblée nationale. "Il n'y a pas assez de gens compétents dans le secteur public pour définir les besoins et superviser les fournisseurs en TI."

Pour ces derniers, les tarifs qu'offre Québec sont relativement bas. "Ceux qui connaissent la game se rattrapent en faisant des ajouts ou des modifications aux contrats, ce qui augmente la facture, allègue Sylvain Simard. Cette façon de fonctionner décourage la concurrence."

EN SAVOIR PLUS

Étude : A Replicated Survey of IT Software Project Failures, par Khaled El Emam de l'Université d'Ottawa et Günes Koru de l'Université du Maryland, septembre/octobre 2008.

http://tinyurl.com/2cuwggn

suzanne.dansereau@transcontinental.ca

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