Entrevue n°150: Vijay Sethi, meilleur professeur de gestion du monde

Publié le 06/04/2013 à 00:00

Entrevue n°150: Vijay Sethi, meilleur professeur de gestion du monde

Publié le 06/04/2013 à 00:00

Par Diane Bérard

Vijay Sethi, meilleur professeur de gestion du monde

L'Indien Vijay Sethi enseigne la technologie à l'école de gestion de la Nanyang University de Singapour. À 53 ans, il vient d'être nommé Meilleur professeur de gestion du monde au concours annuel EIU, organisé par The Economist. Les candidatures émanent des étudiants. Et l'épreuve finale consiste en un cours de 35 minutes devant un jury d'étudiants. La professeure Johanne Brunet, de HEC Montréal, s'est classée finaliste à ce concours.

Diane Bérard - On vous a nommé meilleur professeur de gestion du monde. Plusieurs universités voudront vous «cloner». Pouvez-vous donner la recette aux recteurs.

Vijay Sethi - Tout débute avec ma passion. Et puis avec mon sens de l'humour. Il ne faut jamais se prendre trop au sérieux, il faut rester humble. Et savoir s'amuser. J'aime mes élèves, mais j'ai une vie à l'extérieur de l'école. Pour me cloner, il faut ajouter des connaissances multidisciplinaires : j'enseigne la technologie, mais je puise du côté de l'économie, de la sociologie, de la psychologie et d'autres disciplines pour enrichir mon cours. Les idées nouvelles naissent du croisement de plusieurs disciplines.

D.B. - Quelle est votre priorité : enseigner ou préparer vos élèves au monde du travail ?

V.S. - Enseigner. Je me concentre sur ce que je contrôle, c'est-à-dire l'apprentissage. Si c'est bien fait, le reste suivra naturellement.

D.B. - Vous enseignez aux gestionnaires de demain. À quoi ressembleront-ils ?

V.S. - Mes étudiants viennent de plusieurs univers (marketing, finance, comptabilité), mais je crois qu'ils se rejoindront sur un point : leur façon d'utiliser la technologie comme outil stratégique pour transformer leur discipline.

D.B. - En quoi différeront-ils de leurs aînés ?

V.S. - Là où leurs aînés ont souffert d'un manque d'information, les gestionnaires de demain devront composer avec une surabondance. On verra ce qu'ils en feront. Seront-ils capables d'absorber toute cette info pour développer une vision plus large et plus complète de leur univers ou s'y perdront-ils ?

D.B. - Vos étudiants se soucient-ils davantage d'éthique que leurs aînés ?

V.S. - Une chose est certaine, ils sont beaucoup plus disposés à en parler. Tous mes cours comportent une discussion à saveur éthique. Internet initie mes étudiants à des enjeux que la génération précédente ignorait.

D.B. - Devenus gestionnaires, agiront-ils de façon plus éthique ?

V.S. - Je crois que oui, pour deux raisons. D'abord, ils savent qu'ils ne pourront pas se cacher. Là où leurs aînés s'en tiraient malgré des comportements parfois douteux, mes étudiants, eux, n'y arriveront pas. Quand ce sera à leur tour de gérer, tous leurs gestes seront scrutés. Leurs aînés n'ont pas connu cette pression. Cela dit, les préoccupations éthiques de mes étudiants ne sont pas dictées uniquement par la peur des représailles. Elles le sont aussi par le désir de changer les choses et la certitude de pouvoir y arriver. Internet leur démontre chaque jour qu'on peut être des agents de changement, et il leur en donne les moyens.

D.B. - Recherche ou enseignement, quelle devrait être la priorité d'un professeur d'université ?

V.S. - Ah ! l'éternel débat... La réponse varie selon l'âge du professeur. Pour enseigner convenablement, il faut puiser directement dans ses connaissances. Or, ce puits, il faut le remplir. C'est ce à quoi servent les années de recherche en début de carrière. Un jeune professeur devrait consacrer 80 % de son temps à la recherche. Cette proportion diminue avec les années, à mesure que son savoir s'enrichit et qu'il peut le partager. Une université de qualité reconnaît que la contribution de son personnel varie selon l'étape de la carrière. Elle met en place une structure qui permet cette transition.

D.B. - Que voulez-vous que vos étudiants retiennent de vos cours ?

V.S. - Trois choses, dans le désordre. Une connaissance de la technologie. Je veux qu'ils apprennent le vocabulaire et qu'ils maîtrisent certains concepts. Mais je suis contre le bourrage de crâne. Je préfère enseigner moins de concepts, mais qu'ils soient bien compris. Une pensée holistique ; je veux que mes étudiants soient capables d'intégrer plusieurs éléments lorsqu'ils se penchent sur un problème. Et puis la passion. Encore et toujours la passion.

D.B. - Votre cours transcende la technologie pour aborder de nombreuses disciplines. Les généralistes font-ils de meilleurs gestionnaires ?

V.S. - Oui, parce qu'ils sont plus doués pour identifier les problèmes. Pour résoudre un problème, il faut d'abord l'identifier correctement. Ceci exige d'observer une situation sous différents angles pour trouver ce qui cloche. S'agit-il d'un problème d'origine sociale, technique, personnelle ? Celui qui ne possède que des connaissances pointues n'aura qu'une seule longue-vue pour examiner un problème.

D.B. - Pourquoi y a-t-il tant de décrochage ?

V.S. - Nous, les professeurs, sommes responsables du décrochage. Nous sommes obsédés par la mesure, par les notes. Nous introduisons la compétition et l'échec beaucoup trop tôt. Nous classons les élèves en gagnants et perdants, louangeant trop les premiers, blâmant trop les seconds. Nous voulons tellement que les étudiants apprennent que nous rendons les matières ennuyeuses. Plusieurs cours ne rendent pas justice à la matière et découragent les élèves. Toute notion de plaisir est évacuée au profit de la performance.

D.B. - Comment y remedier ?

V.S. - Laissons les élèves «jouer» avec les matières jusqu'à l'âge de 14-15 ans. Enseignons pour le plaisir. Donnons aux élèves une chance de développer une passion. Lorsque ce sera fait, nous pourrons passer à l'acquisition formelle de connaissances et à la notation.

D.B. - Les critères de sélection des professeurs sont-ils adéquats ?

V.S. - Non. S'appuyer sur leurs connaissances ne suffit pas. Le monde de l'éducation a besoin de professeurs qui ont développé une pensée critique par rapport à leur matière. Des professeurs qui savent, mais aussi qui pensent et qui poussent leurs élèves à penser.

D.B.- Faut-il noter les professeurs pour s'assurer qu'ils sont productifs ? Comment ?

V.S. - Noter, oui, mais de façon large. Ainsi, le professeur qui obtient 4,35/5 n'est pas nécessairement meilleur que celui qui obtient 4,25/5. Il faut plutôt se placer sous l'angle du groupe : par exemple, tous les professeurs qui ont entre 4 et 4,5 sont jugés excellents.

D.B. - Sommes-nous trop sévères à l'égard du système d'éducation ?

V.S. - On peut comparer le travail d'un professeur à celui d'un parent. Élever un enfant correctement pose un défi énorme. Lui inculquer de bonnes valeurs et le motiver exige tout ce que nous avons. Et pourtant, nous avons un levier, une connexion émotive avec lui. Le professeur, lui, n'a aucun levier. Enseigner est au moins cinq fois plus difficile qu'élever un enfant.

D.B. - On cite souvent la faible créativité du peuple asiatique qui freine l'innovation. Le système d'éducation asiatique s'adapte-t-il ?

V.S. - Les universités commencent à revoir leur façon d'enseigner. Mais le problème se situe en amont, nous recevons des étudiants déjà «contaminés». Au primaire et au secondaire, on encadre trop les élèves. On pousse les connaissances, pas la réflexion. À l'université, c'est différent, plusieurs professeurs ont été formés en Occident.

D.B.- Quel est votre message aux autres professeurs de gestion ?

V.S. - Élargissez vos horizons. Ce n'est pas parce que vous enseignez la gestion que vous ne devez parler que de gestion. Montrez à vos étudiants les liens avec les autres univers. Parlez-leur d'économie, de sociologie, de psychologie, etc.

D.B. - Et votre message aux employeurs ?

V.S. - Cessez d'évaluer les candidats en fonction d'une grille de compétences utiles à court terme. Vous n'embaucherez jamais de futurs leaders ainsi. Recrutez plutôt vos employés en fonction de leurs valeurs et enseignez-leur les compétences dont vous avez besoin, et non l'inverse.

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