«Les détracteurs de la présence chinoise en Afrique sont ignorants»

Publié le 02/02/2013 à 00:00

«Les détracteurs de la présence chinoise en Afrique sont ignorants»

Publié le 02/02/2013 à 00:00

L'entrevue no 141

Dambisa Moyo

Économiste et Auteure

Dambisa Moyo carbure à la controverse. Dans ses livres, la Zambienne de 43 ans a dénoncé l'aide internationale (Dead Aid), le comportement économique de l'Occident (How the West Was Lost) et maintenant notre vision de la Chine (Winner Take All: China's Race for Resources and What It Means for the World). En 2009, le Times la classait parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde. Je l'ai jointe à sa résidence londonienne.

Diane Bérard - Comment la Chine s'y prend-elle pour mettre la main sur les ressources dont elle a besoin ?

Dambisa Moyo - La Chine a élaboré une stratégie en trois points. D'abord, elle se rapproche des mal-aimés. Tous ces États que l'Occident a l'habitude d'ignorer : le Pérou, le Kazakhstan, l'Afrique subsaharienne... Elle leur fait une offre qu'ils ne peuvent refuser : des emplois et des infrastructures en échange de l'accès à leurs ressources. Ensuite, le gouvernement développe une position de monopsone. C'est l'équivalent d'un monopole pour un acheteur. Walmart est un monopsone. Le gouvernement aussi, lorsqu'il est question d'équipement militaire. Un monopsone possède un tel poids qu'il peut fixer les prix à sa guise. Dernier pilier de la stratégie chinoise : payer les ressources plus cher que ce qu'elles valent sur le marché. Les Occidentaux croient que les Chinois ignorent comment évaluer la valeur des actifs. Pas du tout, ils voient simplement plus large et plus loin. La valeur que le gouvernement chinois attribue aux ressources naturelles comprend le développement économique qu'elles entraîneront ainsi que la réduction de la pauvreté.

D.B. - On évoque depuis plusieurs mois le ralentissement de la croissance chinoise. Cela devrait freiner sa course aux ressources naturelles...

D.M. - Je ne crois pas au ralentissement de l'économie chinoise. On assiste simplement au virage d'un modèle économique reposant sur l'investissement étranger vers un autre bâti autour de la consommation intérieure. Il faudra beaucoup de ressources naturelles pour fabriquer tous ces produits de consommation.

D.B. - Des guerres pour les ressources naturelles, il y en a depuis toujours. Pourquoi celle que mène la Chine devrait-elle nous inquiéter davantage ?

D.M. - Celle de la Chine retient davantage l'attention, mais on observe une croissance généralisée de l'appétit pour les ressources naturelles. Nous sommes plus nombreux, plus riches et nous vivons davantage en ville. Notre consommation augmente constamment. Et la planète est davantage intégrée. L'effet de contagion des conflits s'avère donc plus important.

D.B. - La course aux ressources naturelles peut sembler abstraite. Pouvez-vous en illustrer les conséquences concrètes ?

D.M. - Pensez au prix de l'essence qui grimpe constamment. Avez-vous une idée du nombre de produits de consommation courante fabriqués à partir du pétrole ? Et puis, sachez qu'il faut s'aventurer de plus en plus loin, dans des régions instables, pour extraire les ressources naturelles dont nous avons besoin. Cela augmente le risque de conflits. Et rares sont les gens d'affaires suffisamment formés pour gérer ce type de situation.

D.B. - La Chine investit beaucoup en Afrique pour accéder à ses ressources. Certains décrient ces investissements. Qu'en pensez-vous ?

D.M. - Les détracteurs de la présence chinoise en Afrique sont ignorants. C'est la presse occidentale qui décrie ces investissements. Les presses africaine et sud-américaine voient la situation d'un oeil plus nuancé. L'Afrique tire beaucoup de cette relation.

D.B. - Faut-il freiner ou encadrer la course aux ressources naturelles de la Chine ?

D.M. - Je crois au libre marché. Le capitalisme transforme la vie des gens, il l'améliore. Cela n'exclut toutefois pas la nécessité de réglementer certaines activités. Mais il faut se méfier des motivations derrière ces lois. Pourquoi certains acteurs seraient-ils pénalisés d'office ? Par jalousie ? On ne peut exclure la Chine de certaines transactions, parce que c'est la Chine. Il faut une vraie raison, et il faut la nommer.

D.B. - Le Québec est riche en ressources naturelles. Comment tirer profit de cette guerre mondiale pour les ressources ?

D.M. - Cette course comptera des gagnants et des perdants. Aussi bien chez les États vendeurs de ressources naturelles que chez les acheteurs. Mais parlons du Québec, chez les vendeurs. Une partie de votre prospérité repose sur l'exploitation de ressources non renouvelables. Que faites-vous de ces revenus ? Avez-vous un plan ? Le gouvernement du Québec est-il conscient que le flot de capital se tarira ? Que l'exploitation des ressources naturelles est un jeu risqué ? Je vous conseille de vous inspirer de la Norvège qui a vu loin et investi judicieusement ses revenus du pétrole pour les générations futures.

D.B. - On évoque l'absence de démocratie pour expliquer la vigueur du développement économique chinois et son succès à développer une stratégie d'appropriation des ressources naturelles étrangères. Qu'en pensez-vous ?

D.M. - Il est plus difficile d'aller de l'avant avec certaines décisions d'envergure dans un État démocratique. Mais la démocratie n'est pas un mauvais système. On pourrait toutefois le rendre plus efficace. Les Américains, par exemple, pourraient allonger le mandat de leur président. Cela se fait en Amérique du Sud. On voit à quel point le processus électoral paralyse la prise de décision et l'économie américaine.

D.B. - La dictature chinoise demeure une question délicate...

D.M. - J'entends plusieurs dirigeants d'État et d'entreprise critiquer l'absence de démocratie en Chine, mais je ne vois personne refuser l'argent chinois. Brandir ainsi la question de la démocratie nous éloigne du véritable problème. Qu'est-ce qui dérange vraiment : l'absence de démocratie ou le manque de transparence ? À mon avis, il est plus important de s'attaquer au manque de transparence de l'État chinois.

D.B. - Vous lancez des fleurs au gouvernement canadien. Pourquoi ?

D.M. - La relation que vous développez avec la Chine dans le dossier des ressources naturelles donne l'exemple. Vous prenez des décisions d'affaires. Ce fut le cas dans le dossier Nexen. Des décisions reposant sur le bénéfice que chaque partie peut tirer. Et non des décisions guidées par la haine, la jalousie ou les préjugés.

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