Entrevue: Edwina Dunn, PDG, Dunnhumby

Publié le 28/08/2010 à 00:00

Entrevue: Edwina Dunn, PDG, Dunnhumby

Publié le 28/08/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Edwina Dunn, PDG, Dunnhumby

Comprendre des données est une chose. Savoir quoi en faire en est une autre. Voilà comment la firme d'analyse de données clients la plus branchée de l'heure annonce ses services. Tous les détaillants veulent travailler avec Dunnhumby. Dans un article publié dans Business Week, on la présente comme étant le dernier espoir des détaillants en ces temps sombres. Dunnhumby permet à ceux-ci de s'introduire dans l'esprit des clients pour ensuite trouver ce qui les rendra plus fidèles.

Le couple formé par Edwina Dunn et Clive Humby a démarré Dunnhumby en 1989. Monsieur serait l'as de l'innovation et madame, la pro de l'exécution et de la stratégie. Leurs premiers clients furent les firmes de publipostage. Puis, en 1995, un coup de fil du méga-détaillant britannique Tesco propulse le duo sur la voie rapide du succès. Le programme de fidélisation qu'ils créent pour Tesco - désormais propriétaire à 90 % de Dunnhumby - devient une carte de visite inespérée qui ouvre les portes d'une multitude d'autres entreprises de commerce de détail. À celles-ci s'ajoutent des manufacturiers, tels Procter & Gamble et Nestlé. Ceux-ci, tout comme les détaillants, ne rêvent que d'une chose : nous vendre toujours plus de ceci et de cela. Clive Humby a publié Brand is dead, long live to the Customer tandis que son épouse Edwina Dunn a rédigé It's marketing Jim. Les deux ouvrages peuvent être téléchargés gratuitement sur le site de l'entreprise (dunnhumby.com).

Nous avons joint Edwina Dunn à ses bureaux londoniens pour en savoir un peu plus sur sa pratique, qu'elle a surnommée "l'indispensable génie du consommateur" [essential customer genius].

Diane Bérard - Vous pouvez connaître notre vie à partir du contenu de notre panier d'épicerie. Comment faites-vous ?

Edwina Dunn - Facile. Il suffit de bien observer; un panier rempli de produits surgelés laisse supposer que cette personne a très peu de temps libre, qu'elle travaille de longues heures et que sa santé n'est pas une priorité. À l'opposé, le panier qui regorge de fruits et de légumes frais révèle une autre réalité sur la personne qui le pousse. Tous les paniers racontent une histoire et mon travail consiste à découvrir chacune d'entre elles. Si un détaillant ne connaît pas les histoires qui se cachent dans ses paniers, il n'arrivera jamais à augmenter ses ventes.

D.B. - Combien de catégories d'acheteurs avez-vous décelées ?

E.D. - La question ne se pose plus ainsi, car le nombre de catégories n'est plus aussi défini. Nous ne tenons pas compte de la façon traditionnelle de les classer : sexe, âge, revenu, éducation. Les consommateurs sont devenus beaucoup plus complexes : ils placent pêle-mêle dans leur panier des marques de luxe, des marques privées et des articles en solde, en suivant une combinaison personnelle.

D.B. - Vos clients ressentent généralement un choc la première fois que vous les rencontrez. Pourquoi ?

E.D. - (Rires) Quel est le réflexe d'un détaillant ? Augmenter ses ventes en recrutant de nouveaux clients. Je leur conseille exactement le contraire ! Pourquoi perdre temps et argent à tenter de séduire des gens qui n'ont jamais mis les pieds chez vous ? Concentrez-vous donc sur ceux qui franchissent vos portes tous les jours. Apprenez à connaître leurs habitudes d'achat et vendez-leur simplement une plus grande quantité de ce qu'ils achètent déjà. Tel est le discours qui rend mes clients nerveux au moment de notre première rencontre.

D.B. - Vous affirmez que tous les clients ne sont pas les bienvenus. Faut-il en refuser certains ?

E.D. - Oui. Les clients butineurs (cherry pickers) sont à fuir comme la peste, car ils vous font perdre votre temps. Je m'explique. Pendant la Coupe du monde de soccer, les épiciers britanniques ont vendu la bière à des prix dérisoires, souvent à perte, pour attirer des clients. Cela a fonctionné, certes, mais cette catégorie de consommateurs courent les rabais. Il n'y a pas plus infidèle. Ils vous désertent dès que enlevez vos pancartes. Ces acheteurs sont faciles à reconnaître : ils ne se procurent que des articles à prix réduits.

D.B. - Pourquoi n'aimez-vous pas les soldes ?

E.D. - Qu'on se comprenne bien : comme cliente, je les aime. Lorsque j'enfile mon chapeau de consultante en commerce de détail, c'est une autre histoire. Je constate que les manufacturiers et les détaillants abusent des soldes. Ils se contentent de marges ridicules, croyant s'attirer des hordes de clients. On ne fidélise pas un client avec des rabais. Et puis, des soldes fréquents sur certains articles indiquent une mauvaise politique de prix.

Prenez l'exemple de la crème glacée. Personne ne l'achète au prix régulier, parce qu'elle coûte trop cher. Le détaillant doit donc la solder pour nous convaincre d'en mettre un contenant dans notre panier d'épicerie. Nous le savons tous et nous attendons le bon moment pour en acheter. Un rabais aussi fréquent et prévisible n'en est plus un, cela devient un signe de mauvaise gestion. Pourquoi ne pas nous vendre la crème glacée au juste prix, celui qui nous rendrait loyaux à une marque et, ensuite, nous récompenser parce que nous l'achetons souvent. Plus votre offre atteint la cible, moins vous aurez besoin d'artifices pour la promouvoir. Les consommateurs l'accepteront d'emblée, parce qu'elle correspond à ce qu'ils désirent.

D.B. - Votre partenariat avec Tesco constitue un moment décisif du développement de votre firme. Quelle est votre relation avec ce client ?

E.D. - Depuis 1995, nous avons accumulé de l'information sur les habitudes d'achat de 16 millions de foyers britanniques fréquentant Tesco. Chaque trimestre, ces consommateurs reçoivent un relevé indiquant le nombre de points de récompense accumulés grâce à leurs achats chez ce détaillant. Ces points sont convertis en dollars échangeables contre de la marchandise. En plus du relevé, l'enveloppe contient de coupons de divers manufacturiers partenaires. Chaque foyer reçoit un assortiment de coupons différents, selon les habitudes d'achat que nous avons recensées à son sujet au fil des ans.

D.B. - Tesco est-il votre seul partenaire privilégié ?

E.D. - Non, c'est un modèle que nous avons repris avec Kroger et Home Depot, aux États-Unis, Casino, en France, Gruppo Pam, en Italie et Metro, au Québec.

D.B. - Votre relation avec Metro, commencée en novembre 2009, est-elle une réplique de celle que vous entretenez depuis 15 ans avec Tesco ?

E.D. - Oui. Tout comme avec Tesco, nous avons créé une coentreprise avec Metro. Notre relation comporte deux volets. D'abord, après avoir recueilli suffisamment d'information sur ses clients, nous allons aider ce détaillant à accroître ses ventes. [Le programme de fidélisation metro&moi, que la chaîne a lancé en avril 2010 et qu'elle teste dans les supermarchés GP du Bas-du-Fleuve, a été élaboré en collaboration avec Dunnhumby). Par la suite, nous vendrons l'information sur les habitudes d'achat des clients de Metro aux grands manufacturiers et aux détaillants qui ne sont pas des concurrents directs. Ainsi, Procter & Gamble saura lesquels de ses shampoings, et de ceux de ses concurrents, sont les plus populaires et quels groupes cibles préfèrent quelles marques.

D.B. - En avril, vous avez annoncé une collaboration avec Canadian Tire. Quels en sont les éléments ?

E.D. - La relation est moins définie qu'avec Metro. Nous passons actuellement par une phase exploratoire pour comprendre l'entreprise et ses enjeux.

D.B. - Travaillez-vous avec d'autres détaillants canadiens ?

E.D. - Nous avons déjà collaboré avec Loblaw.

D.B. - On a déjà qualifié votre firme de "reine de l'analyse de données" [mother of all data crunchers]. Comment Internet influence-t-il votre façon de travailler ?

E.D. - Jusqu'à présent, notre cueillette d'information demeurait passive : les clients achetaient et nous colligions le détail de leurs achats dans d'énormes banques de données. Internet, et surtout les médias sociaux, permettent de passer en mode "actif" : nous amorçons une conversation avec les clients. Par exemple, nous expédions des échantillons d'un nouveau produit à certains consommateurs réguliers d'articles de cette catégorie, que nous appelons des "agents". Ceux-ci ont accepté de diriger une conversation en ligne portant sur ce nouveau produit, Ils offrent donc des échantillons à leurs amis et connaissances en sollicitant leurs réactions. L'agent modère ces échanges pour nous. Le manufacturier ou le détaillant à l'origine de ce nouveau produit a accès à cette conversation, ce qui lui permet d'ajuster le produit avant son lancement. Auparavant, les données nous servaient à expliquer ce qui venait de se produire. Aujourd'hui, elles nous aident à prévoir ce qui va survenir et, dans le mesure du possible, à l'influencer. Depuis qu'elle est passée en mode actif, la science de l'analyse de données s'avère à la fois plus exacte et plus utile.

D.B. - Que répondez-vous à ceux qui associent la collecte de données sur les consommateurs à une surveillance à la "Big Brother" ?

E.D. - Notre clientèle n'a pas accès aux renseignements personnels de chacun de leurs clients, car nous les anonymisons, en quelque sorte, avant de les transmettre. Quant aux consommateurs sur lesquels nous cumulons des renseignements, ils économisent et ne sont plus inondés d'offres qui ne leur conviennent pas. Pour moi, cela sonne gagnant-gagnant.

Le pourquoi

Depuis que Tesco travaille avec la firme-conseil Dunnhumby, en 1995, le détaillant britannique a multiplié sa taille par trois. En novembre, Dunnhumby a lancé une coentreprise avec une des plus grandes sociétés québécoises, Metro. Le programme de fidélisation metro&moi, qui sera bientôt déployé à grande échelle est l'oeuvre conjointe du consultant britannique et de son partenaire québécois.

Le chiffre

200 millions: Nombre de foyers dans le monde sur lesquels Dunnhumby possède de l'information quant aux habitudes d'achat.

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