Entrevue: Jurgen Apello, auteur et entrepreneur

Publié le 09/06/2012 à 00:00

Entrevue: Jurgen Apello, auteur et entrepreneur

Publié le 09/06/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Jurgen Apello, auteur et entrepreneur

Le Néerlandais Jurgen Apello parle de changement partout. Dans son blogue (noop.nl, depuis 2008), ses livres (How to Change the World et Management 3.0: Leading Agile Developers, Developing Agile Leaders), et les organisations qu'il a cofondées (Agile Lean Europe Network et Stoos Network). Nous l'avons rencontré à Montréal, où il était invité par la firme Pyxis.

DIANE BÉRARD - Nous savons depuis longtemps ce qu'est la bonne et la mauvaise gestion. Pourquoi en parlons-nous encore au lieu d'implanter la bonne ?

Jurgen Apello - Passer de la mauvaise à la bonne gestion exige de laisser tomber des privilèges et un certain statut. Ceux qui ont grimpé les échelons tiennent au pouvoir et à la reconnaissance financière qui y sont associés. Ils estiment qu'un gestionnaire prend des décisions et non pas qu'il délègue. Et ils n'aimeraient pas du tout qu'on revoie les échelles salariales dans un esprit de répartition plus équitable de la richesse. Bref, passer de la «mauvaise» à la «bonne» gestion déposséderait de nombreux cadres de ce qu'ils considèrent comme leur identité.

D.B. - Je croyais que l'étape ultime de la gestion était de gérer sans gestionnaire...

J.A. - Surtout pas ! On confond la gestion des personnes et la gestion du système. Il est vrai qu'on ne peut pas gérer les employés directement. Eux seuls savent ce qu'ils doivent faire. Ils sont sur le terrain, interagissent avec les clients, rencontrent les fournisseurs. C'est à eux de prendre les décisions. Le gestionnaire, lui, veille à ce que les employés évoluent dans un système qui leur permet d'atteindre leur plein potentiel. Il gère ce système. Le cadre vérifie que les contrats sont limpides, les procédures du centre d'appels adéquates, le système de traitement des plaintes exhaustif, etc. Les cadres professionnels gèrent le système, mais les employés se gèrent eux-mêmes et leur environnement immédiat.

D.B. - Pourquoi comparez-vous la gestion au marketing ?

J.A. - Il existe des marketers. Ces gens-là sont spécialisés en marketing. Mais, comme l'a dit Seth Godin, «le marketing est trop important pour qu'on le laisse aux marketers». C'est pourquoi tous les employés sont aussi des spécialistes du marketing. Ils doivent comprendre l'importance du marketing et de l'image de marque et l'appliquer à leur tâche. Cela s'applique aussi à la gestion.

D.B. - Selon vous, la gestion du changement fait partie des tâches du cadre. Tout changement est-il nécessairement positif ?

J.A. - La loi de la gravité est-elle positive ou négative ? Ni l'un ni l'autre, elle existe, c'est tout. Il en est de même du changement. Il n'est ni bon ni mauvais : il est. Les choses changent, vous n'y pouvez rien. Le cadre doit gérer le changement sur lequel il n'a aucune influence. C'est ce qu'on nomme l'adaptation. Mais il peut aussi provoquer le changement. C'est ce qu'a fait Steve Jobs.

D.B. - Les entreprises adorent donner un nom à leurs projets de transformation pour y faire adhérer leur personnel. Pourquoi est-ce une mauvaise idée ?

J.A. - Parce que si vous donnez un nom et un horizon à un projet de transformation, cela signifie qu'il aura une fin. Ce qui donne aux employés une fausse impression de confort. Ils concluront qu'au terme de ce projet, ils en auront terminé avec le changement.

D.B. - Parlons processus. Vous estimez qu'il faut amorcer tout changement en énonçant ce qui va bien plutôt que ce qui cloche. Pourquoi ?

J.A. - Question de psychologie. Débuter par ce qui va mal démotive les employés. Cela équivaut à nier la valeur de leur travail. Se sentant attaqués, ils se braqueront. Si vous amorcez plutôt la discussion en évoquant les réussites, vous donnez un ton plus positif aux échanges. Se sentant respectés, ils se montreront plus réceptifs à la suite des choses.

D.B. - La culture n'explique pas à elle seule la résistance au changement. Parlez-nous du manque de connaissances et de compétences.

J.A. - Les gens ne résistent pas au changement uniquement parce qu'ils sont butés. Ils résistent aussi parce qu'ils sont incapables d'accomplir les nouvelles tâches qu'on attend d'eux. Cela peut être faute de compétences techniques ou de direction. Mais cela, on en parle peu. On se concentre sur les problèmes d'attitude et on néglige les limites de connaissances et de compétences.

D.B. - Vous insistez sur l'importance que les employés se développent par eux-mêmes. N'est-ce pas utopique ?

J.A. - Ce n'est pas gagné, j'en conviens. À l'enfance, notre développement est pris en charge par d'autres, qui nous disent quoi apprendre et comment l'apprendre. Devenus employés, nous conservons les mêmes attentes. Lorsque je donne du temps libre à mes employés pour qu'ils se forment, plusieurs s'adonnent à des jeux sur l'ordinateur. Le fabricant de logiciels australien Atlassian a trouvé une solution. Plusieurs fois par année, il établit des journées de formation. Les employés explorent alors un sujet ou une idée qui les intéresse. Ils doivent ensuite faire part de leurs découvertes à leurs collègues. Cette initiative réunit deux conditions gagnantes. D'abord, elle est inclusive. Personne n'y échappe. Ensuite, l'obligation de rendre des comptes évite que les employés perdent leur temps.

D.B. - Les entreprises vendent souvent le changement aux employés par des arguments rationnels, comme la nécessité de soutenir la concurrence. Vous suggérez plutôt de jouer l'émotion. Expliquez-nous ce que vous entendez par là.

J.A. - Laissez-moi vous raconter l'histoire de mon programmeur-vedette. Dans une autre vie, alors que je travaillais dans l'industrie du logiciel, j'ai demandé à celui-ci de changer sa façon de faire et de partager son code source avec le reste de l'équipe, en lui disant que tout le monde en bénéficierait. Il a refusé. En fouillant, j'ai compris qu'il craignait que d'autres, moins doués que lui, manipulent son code et en diminuent la qualité. Et que, du coup, on le juge, lui et ses réalisations, inférieurs. J'ai donc reformulé ma demande. Je l'ai invité à partager ses connaissances avec ses collègues, à devenir un leader d'une communauté informelle. J'ai laissé tomber la raison et j'ai fait appel à ses émotions. Il a accepté. J'ai obtenu le même résultat, en partageant ses meilleures pratiques, il a aussi partagé son code source.

«Si vous donnez un nom et un horizon à un projet de transformation, cela signifie qu'il aura une fin. Ce qui donne aux employés une fausse impression de confort. Vos employés concluront qu'au terme de ce projet, ils en auront terminé avec le changement.»

LE CONTEXTE

Peter Drucker en a parlé. Henry Minztberg aussi. Le rôle des gestionnaires dans les organisations n'a pas fini d'alimenter les discussions. Le Néerlandais Jurgen Apello émerge comme une nouvelle voix dans cette réflexion sur le changement dans les organisations et le rôle qu'y jouent les gestionnaires. Il s'inspire des pratiques et de la philosophie de son industrie d'origine, celle du logiciel, considérée comme créative et innovante.

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