La concurrence s'arrête aux frontières

Publié le 05/11/2011 à 00:00

La concurrence s'arrête aux frontières

Publié le 05/11/2011 à 00:00

L'ouverture des marchés publics permet à des entreprises de l'extérieur du Québec d'obtenir des contrats du gouvernement. Mais pas dans le controversé secteur de la construction de routes et de ponts. Depuis trois ans, aucune entreprise de l'extérieur du Québec ne s'est montrée intéressée aux lucratifs contrats du ministère des Transports, révèle notre enquête.

Pour l'exercice 2010-2011, les organisations publiques québécoises ont accordé 68 contrats à des entrepreneurs de l'extérieur, d'une valeur totale de plus de 90 millions de dollars, selon le Conseil du Trésor. Et aux Transports ? Zéro. Et c'est comme ça depuis au moins 2008.

Ce ministère, le plus grand donneur d'ouvrage du gouvernement, se trouve au centre des problèmes de collusion dans la construction, selon l'ex-policier Jacques Duchesneau, qui a publié un rapport troublant sur l'industrie. Or, les seuls contrats que le Ministère accorde à des entreprises non québécoises concernent l'achat d'équipements introuvables au Québec. En fait, depuis trois ans, le Ministère n'a reçu aucune soumission de l'extérieur de la province pour des travaux sur son réseau routier.

«Pourquoi les entreprises de l'extérieur ne soumissionnent-elles pas ? Il faudrait le leur demander», écrit Andrée-Lyne Hallé, attachée de presse du ministre des Transports, Pierre Moreau, dans un courriel en réponse à nos questions.

Mme Hallé affirme ne pas avoir de preuves «que cela nuirait au marché d'une manière ou d'une autre». En fait, le Ministère n'a réalisé aucune étude sur la question, convient-elle.

L'ouverture des marchés publics contribue pourtant à faire baisser les prix, reconnaît Isabelle Mercille, attachée de presse de la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne. «Le Québec en profite en raison de la concurrence que cela génère entre les fournisseurs.»

Mais pas aux Transports.

Réglementation complexe

Pour expliquer la situation, le cabinet du ministre des Transports évoque notamment la qualification obligatoire pour tous les métiers de la construction dans la province. En Ontario, les autorités n'exigent des preuves de qualification que pour cinq métiers de la construction. Au Québec, les 26 spécialités sont toutes soumises au système de certificats de compétence. Quand un ouvrier ontarien veut traverser la rivière des Outaouais pour venir travailler ici, il doit donc présenter une carte de compétence ontarienne - non obligatoire dans sa province pour la plupart des métiers - ou passer carrément par tout le processus de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Et c'est valable tant dans les chantiers publics que dans le privé, comme la construction résidentielle. L'ouvrier du Québec qui veut travailler en Ontario, lui, n'a qu'à se faire embaucher.

Résultat : le déséquilibre est flagrant. En 2010, ils ont été environ 800 ouvriers des autres provinces à venir travailler ici, selon les chiffres de la CCQ. En sens inverse, 1 400 travailleurs québécois se sont rendus dans une autre province pour travailler dans la construction, surtout en Ontario. Mais en fait, c'est beaucoup plus, selon James Barry, président de l'International Brotherhood of Electrical Workers dans la province voisine. «Entre Cornwall et Pembroke, 40 % de mes membres viennent de l'autre côté des Outaouais, et la plupart n'ont jamais travaillé chez eux. Au moins 5 000 travailleurs du Québec traversent la frontière tous les jours», assure-t-il.

En 2006, les gouvernements du Québec et de l'Ontario ont signé une entente pour permettre aux ouvriers d'Ottawa de venir travailler de ce côté-ci de la frontière en plus grand nombre. En vertu de l'accord, les travailleurs ontariens dotés de cartes de compétence ontariennes (non obligatoires pour la plupart des métiers là-bas) voient leurs habiletés reconnues par la CCQ.

Malgré ces mesures, le nombre de travailleurs de l'extérieur du Québec qui viennent travailler dans les chantiers de la province n'a presque pas bougé depuis 2005. «L'accord ne fonctionne pas. C'est une vraie blague !» lance James Barry, qui représente les travailleurs ontariens au comité biprovincial chargé de faire le suivi de l'entente de 2006.

Le ministère du Travail du Québec refuse de discuter du bilan de l'accord. Il doit faire le point avec l'Ontario «d'ici quelques mois». Guère plus de détails n'émanent de Toronto. «Les deux provinces continuent de travailler ensemble au sein d'un comité bilatéral pour améliorer la mobilité des travailleurs», répond un porte-parole par courriel.

La FTQ pointée du doigt

Mais il y a plus grave. La Fédération des travailleurs du Québec, qui domine l'industrie de la construction dans la province, est accusée de toutes parts d'intimider les entrepreneurs et les travailleurs de la construction ontariens.

«Si vous n'avez pas assez de gars syndiqués du Québec sur un contrat, vous allez avoir un appel du représentant de la centrale», assure John DeVries, président de l'Ottawa Construction Association. Il représente les employeurs ontariens au comité de suivi de l'entente de 2006.

La FTQ n'a pas rappelé Les Affaires pour répondre à ces commentaires.

En Ontario, même les syndicats ont une dent contre la FTQ. «La centrale contrôle une telle partie des chantiers au Québec, que si vous n'en êtes pas membre, c'est difficile d'y aller», dit James Barry, à l'International Brotherhood of Electrical Workers.

La FTQ est cependant loin d'être le seul problème, selon John DeVries. «Mes membres se plaignent du contrôle de la CCQ, des frais, des garanties financières qu'ils doivent présenter pour travailler au Québec, du monopole syndical, de l'organisation du camionnage...»

Un entrepreneur général d'Ottawa qui détient une licence de la Régie du bâtiment du Québec en a long à dire... à condition de bénéficier de l'anonymat. Il est convaincu que les autorités québécoises le harcèlent. «Si nous transportons notre équipement au Québec, ils nous arrêtent sur le bord de la route pour des vérifications, dit le patron. Mais si nous prenons des camions du Québec, ils nous laissent tranquilles !»

La CCQ nie s'intéresser davantage aux travailleurs ontariens qu'aux Québécois, et dit appliquer les règlements avec la même rigueur, peu importe l'origine des ouvriers ou des employeurs.

Néanmoins, le problème du harcèlement des travailleurs ontariens était assez grave en 2006 pour qu'on ajoute une clause visant à le combattre à l'entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre dans la construction.

Le document prévoit un mécanisme pour résoudre les cas de harcèlement. Mais depuis cinq ans, aucune plainte n'a été formulée aux autorités. «Je ne pense pas que l'entrepreneur ou le travailleur qui a des problèmes croit que le gouvernement va l'aider, dit John DeVries. Ceux qui vont au Québec acceptent tout simplement les règles du jeu.»

133 Nombre d'entrepreneurs en construction de l'extérieur du Québec ayant payé au moins un salaire dans la province en 2010. De ce nombre, 124 provenaient de l'Ontario, la plupart établis à Ottawa. Source : Commission de la construction du Québec

961,75 $ Coût d'une nouvelle licence générale de la Régie du bâtiment du Québec, que l'entrepreneur soit québécois ou non. Pour un traitement prioritaire, les frais sont de 1 264,91 $. En Ontario, les entrepreneurs en construction n'ont aucune licence spéciale à obtenir. Source : Régie du bâtiment du Québec

NOMBRE DE TRAVAILLEURS DE LA CONSTRUCTION PROVENANT DE L'EXTÉRIEUR DU QUÉBEC DEPUIS 2003

2003 886

2004 788

2005 782

2006 787 Entrée en vigueur de l'entente entre le Québec et l'Ontario pour favoriser la mobilité de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction.

2007 761

2008 807

2009 742

2010 803

Source : Commission de la construction du Québec, octobre 2011.

hugo.joncas@transcontinental.ca

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