L'ascension spectaculaire d'un géant du jeu vidéo

Publié le 26/05/2012 à 00:00

L'ascension spectaculaire d'un géant du jeu vidéo

Publié le 26/05/2012 à 00:00

Il y a 15 ans, la française Ubisoft faisait un geste qui allait changer le portrait économique de Montréal : elle ouvrait un premier studio de jeux vidéo majeur. C'était le début d'une industrie qui emploie aujourd'hui plus de 8 000 personnes au Québec.

Fondée 10 ans plus tôt, Ubisoft était alors active dans la distribution de jeux vidéo. Un premier appel public à l'épargne effectué l'année précédente lui avait donné les moyens d'ouvrir de nouveaux studios pour se lancer dans la production. Yves Guillemot, le pdg d'Ubisoft, a vu en Montréal une bonne base pour prendre pied sur le continent nord-américain afin d'attaquer ce marché stratégique.

«C'était un pari audacieux, car le secteur du jeu vidéo y était peu exploité à l'époque», indique Yannis Mallat, pdg d'Ubisoft Montréal. L'entreprise avait toutefois repéré un fort potentiel et des conditions favorables à son implantation dans la métropole québécoise.

La mise en place d'un nouveau programme de crédit d'impôt et une main-d'oeuvre créative se situant à cheval entre les mentalités européenne et américaine étaient autant de bonnes raisons pour lancer la machine dans la métropole.

«Ce n'était pas complètement le désert. Il y avait déjà un terreau fertile», précise Jason Della Rocca, coprésident de la section montréalaies de l'International Game Developers Association et vétéran de l'industrie.

Outre quelques développeurs de logiciel d'animation 3D, comme Softimage, Kaydara et Discreet Logic, Montréal pouvait compter sur au moins trois studios de petite envergure, A2 M, Strategy First et Kutoka, rappelle pour sa part Sylvianne Pilon, gestionnaire de projet chez TechnoCompétences.

«Cependant, sans Ubisoft, le développement aurait été beaucoup plus organique et donc plus lent, précise Jason Della Rocca. Son arrivée, ainsi que l'implantation du programme de crédits d'impôt qui l'a accompagnée, a eu un effet boule de neige.»

Se faire la main

Le premier grand défi, qui continue à être d'actualité, a été le recrutement. En effet, à la fin des années 1990, bien peu de Québécois affichaient une expérience en jeu vidéo dans leur C.V. «La première équipe d'Ubisoft qui a débarqué en 1997 a dû engager des jeunes qui n'avaient jamais fait de jeux vidéo. Le message était : amusez-vous ! On a appris sur le tas...» résume Yannis Mallat, qui s'est joint à l'équipe d'Ubisoft Montréal comme producteur sous-traitant en janvier 2000, muni d'une maîtrise en développement économique et agronomie internationale.

Alain Tascan, premier responsable de la production de l'histoire du studio, se souvient : «Sur les 250 personnes que nous étions déjà au terme de la première année, il y en avait à peine de 5 à 10 % qui avaient déjà participé à la création d'un jeu.»

Alors dans la fin de la vingtaine, Alain Tascan faisait partie de la douzaine de Français expérimentés dépêchés à Montréal par la maison mère pour poser les pierres d'assise du nouveau studio. «Je faisais une vingtaine d'entrevues par jour dans un bureau sur l'avenue du Mont-Royal. Je devais écrire " le gars avec le pull bleu" ou encore " les cheveux longs " pour être capable de me rappeler qui était qui...»

Après un court séjour dans le Vieux- Montréal, Ubisoft s'installe au 4e étage du 5505, boulevard Saint-Laurent, dans l'édifice Peck. Elle occupe aujourd'hui la totalité de ce grand immeuble autrefois voué à l'industrie textile.

Le premier titre, Speed Busters, un jeu de course automobile sur PC, est lancé en novembre 1998. L'accent est ensuite mis sur des jeux simples associés à des franchises connues, donc moins risqués, comme Playmobil et Disney, notamment. Les équipes prennent de l'expérience, mais Ubisoft Montréal demeure un joueur mineur au sein de l'échiquier mondial.

De l'adolescence à l'âge adulte

Le tournant pour le studio survient en 2000 avec l'acquisition de la franchise Red Storm. Installée en Caroline du Nord et cofondée par le romancier à succès Tom Clancy, Red Storm a déjà amorcé la conceptualisation d'un jeu, Splinter Cell, inspiré de l'univers d'espionnage international dans lequel baigne l'oeuvre de l'auteur.

La production du jeu est ramenée à Montréal. Le pari est audacieux, car le projet est d'une ampleur jamais vue dans ces murs. «Ce projet nous a fait grandir, signale Yannis Mallat. À partir de là, nous nous sommes mis à travailler avec des outils professionnels de l'industrie, selon des méthodes plus éprouvées et pour des publics plus matures.»

L'expérience acquise à travers ce projet permet à l'entreprise de viser plus haut. En 2000, lorsque Microsoft présente sa première console de jeux vidéo, la Xbox, qui ne sera lancée que l'année suivante, ses possibilités technologiques font rêver les créateurs d'Ubisoft. «L'équipe voulait profiter des possibilités de la Xbox pour livrer un produit qui allait surprendre le public et l'industrie», rappelle Yannis Mallat.

Pour convaincre leurs dirigeants qu'ils sont capables de relever le défi, les créateurs réalisent une démo technique où le personnage utilise les ombres projetées en temps réel pour rester furtif. «Personne n'avait jamais vu cela auparavant. C'est comme ça que Splinter Cell est né.»

Le jeu sort en 2002, un an après la Xbox. Rassurée par l'engouement collectif lors des premières démonstrations, Ubisoft investit massivement dans le marketing. Microsoft aussi. Le jeu sera si populaire, avec 7 millions d'exemplaires vendus, qu'il fera grimper les ventes de la console, la seule sur laquelle il est accessible. Ubisoft tenait le jeu qui allait la mettre sur la carte de l'industrie.

L'épisode Splinter Cell a marqué les façons de faire chez Ubisoft, témoigne Yannis Mallat. «Cela a contribué à définir notre ADN : une équipe de développeurs qui a en tête une idée pour produire quelque chose de tout à fait nouveau et qui reçoit la pleine confiance de ses gestionnaires, que ce soit ici ou au siège social, à Paris.»

Une croissance rapide

Le succès de Splinter Cell a donné confiance à l'entreprise, qui a enchaîné par la suite les gros projets, notamment la série Prince of Persia et les jeux de guerre Ghost Recon et Far Cry. Plus de 70 jeux portent sa griffe.

La croissance a dépassé les prévisions. À son arrivée au Québec, Ubisoft s'était engagée à créer 800 emplois en 10 ans. En 2005, deux ans avant l'échéance, elle comptait déjà 1 000 employés, avant de signer une nouvelle entente avec le gouvernement du Québec pour en embaucher 1 000 autres.

L'essentiel de cette croissance a été organique. Les entreprises complémentaires acquises, telles que Microïds (2005, 50 employés), Hydride Technologies (2008, 80 employés) et Quazal (2010, 20 employés), ont eu peu d'impact direct à ce chapitre.

Selon Yannis Mallat, cette croissance à l'interne s'explique autant par la multiplication des projets que par le fait que, progressivement, ceux-ci se sont mis à exiger de plus en plus de personnel pour les réaliser.

Au fur et à mesure de cette croissance, Ubisoft a ouvert des studios à Québec (2005) et Toronto (2009). Dans les deux cas, l'un des objectifs était de faciliter le recrutement d'employés qui ne souhaitaient pas venir s'installer à Montréal.

Ils sont aujourd'hui environ 2 100 à franchir les portes d'Ubisoft à Montréal, 200 à Piedmont (Hybride), 300 à Québec et 220 à Toronto. Dans la Ville reine, où on veut porter ce nombre à 800, Ubisoft a reproduit la stratégie employée à Montréal en 1997 : elle a délégué une poignée d'employés formés à Montréal pour servir de pierres d'assise.

1997

Ubisoft annonce officiellement son arrivée au Québec. Objectif : embaucher 800 personnes d'ici 10 ans.

1998

Le studio montréalais lance son premier titre, un jeu de course automobile sur PC.

2000

Ubisoft achète l'éditeur américain Red Storm, cofondé par l'auteur à succès Tom Clancy. La production du jeu Splinter Cell débute à Montréal.

2001

Quatre ans après son arrivée à Montréal, Ubisoft emploie déjà 700 personnes.

2002

Lancement de Splinter Cell, premier succès commercial et critique d'Ubisoft Montréal avec 7 millions d'exemplaires vendus.

2003

La concurrence débarque : Electronic Arts ouvre un studio à Montréal. Pendant ce temps, Ubisoft sort le jeu Prince of Persia : Sands of Time et s'attelle à la création de la prochaine vache à lait du groupe : Assassin's Creed.

2005

Ouverture d'un studio à Québec (300 employés) et d'un studio spécialisé dans la capture de mouvements à Montréal.

2006

Yannis Mallat devient pdg du studio montréalais, qui emploie alors 1 600 personnes.

2007

Lancement du premier jeu Assassin's Creed, l'une des plus importantes franchise du monde avec 38 millions d'exemplaires vendus.

2008

Achat d'Hybride Technologies, une entreprise québécoise spécialisée dans les effets spéciaux pour le cinéma.

2009

Ouverture d'un studio d'Ubisoft à Toronto (200 employés).

2010

Acquisition de Quazal, une firme montréalaise spécialisée dans les solutions pour le jeu en ligne.

2011

Création d'une chaire de recherche en intelligence artificielle, en partenariat avec l'Université de Montréal.

2012

Ubisoft emploie près de 2 100 personnes à Montréal. L'entreprise annonce un chiffre d'affaires de 1,5 milliard de dollars en 2012-2013.

À la une

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Multiplier la déduction pour gain en capital, c'est possible?

LE COURRIER DE SÉRAFIN. Quelle est l'avantage de cette stratégie?