L'art d'investir différemment

Publié le 19/05/2012 à 00:00

L'art d'investir différemment

Publié le 19/05/2012 à 00:00

Par Dominique Beauchamp

L'investissement est un art plus qu'une science, malgré l'analyse froide des états financiers et des ratios qu'il exige, disent les experts. Pour réussir, il faut une bonne dose de créativité qui amène l'investisseur à voir le potentiel que d'autres ne voient pas et à sortir parfois des sentiers battus. Tout en acceptant le risque de se tromper. Trois investisseurs non conformistes nous dévoilent leur vision de la créativité et deux choix de placement qui reflètent leur approche.

GEOFF MACDONALD

Chef des investissements et coprésident de Gestion de patrimoine EdgePoint

«Les meilleures idées viennent des connaissances déjà accumulées sur une industrie ou une entreprise, pour les reconnaître quand elles émergent.»

Enerflex (Tor., EFX)

Les bas prix du gaz naturel commencent à faire souffrir plusieurs producteurs, mais ils ont aussi de bons côtés, dit M. MacDonald. Plus les prix du gaz resteront bon marché longtemps, plus ce carburant gagnera des adeptes, tant des centrales que des utilisateurs, et ce, un peu partout dans le monde.

Afin d'écouler leur production et d'obtenir de meilleurs prix pour leur gaz naturel, les producteurs nord-américains chercheront aussi à exporter ce dernier à l'étranger sous forme liquide. Plusieurs projets à cet égard verront le jour à partir de 2015.

Il faudra donc installer toute une infrastructure pour traiter, transporter et utiliser ce carburant, au cours des prochaines années. C'est ici qu'entre en jeu Enerflex, de Calgary, un important fabricant d'équipements de compression de gaz naturel, dit M. MacDonald.

«Dès qu'on se projette un peu en avant et qu'on ne colle plus son nez sur le cours déprimé actuel du gaz naturel, on voit émerger des possibilités», évoque M. MacDonald.

Par exemple, Enerflex est un chef de file en Australie dans le domaine des équipements de compression, tandis que le Japon cherche à diversifier ses sources d'électricité à la suite de l'accident nucléaire de Fukushima Daiichi, survenu le printemps dernier.

Autre exemple : Enerflex pilote actuellement l'ingénierie, l'approvisionnement, la construction et la mise en service d'un complexe intégré de traitement, de compression et de condensation et d'exportation de gaz naturel en Oman, au Moyen-Orient. Le contrat de 228 M$ US inclut même une unité de traitement de l'eau, un poste de contrôle et une station électrique.

Shoppers Drug Mart (Tor., SC)

L'investisseur «créatif» n'investit pas en fonction de ce que tout le monde sait, puisque le titre de l'entreprise intègre déjà toutes les croyances générales à son sujet.

«Les occasions émergent davantage en imaginant ce que l'avenir réserve», explique M. MacDonald.

Le pharmacien Shoppers Drug Mart, par exemple, est boudé en Bourse, parce que la réforme du prix des médicaments génériques des gouvernements provinciaux ralentit sa croissance et nuit à ses marges.

Or, l'impact des réformes affaiblira davantage les pharmaciens indépendants qui se joindront à des groupes tels que Shoppers, vendront leurs dossiers de prescriptions ou fermeront carrément boutique. «Dans cinq ans, une fois les effets de la réforme passés, le secteur comptera vraisemblablement moins d'acteurs et donc moins de concurrence», croit M. MacDonald.

Entre-temps, Shoppers est certainement mieux placée que les pharmaciens indépendants pour réaliser des économies au sein de son réseau. D'ailleurs, elle protège déjà bien ses marges actuellement, malgré les réformes, dit M. MacDonald.

À plus long terme, les pharmaciens de la taille de Shoppers feront aussi partie de la solution pour aider les gouvernements à réduire les coûts et à désengorger leurs systèmes de santé en offrant une palette croissante de services de première ligne, tels que des tests diagnostiques. «Ces futures visites de patients accroîtront l'achalandage des pharmacies», entrevoit M. MacDonald.

FRANÇOIS ROCHON

Président de Giverny Capital

«Être créatif, c'est posséder la capacité de voir les choses avec un esprit indépendant et maîtriser la nature profonde du modèle d'une entreprise.»

Walt Disney & Co. (NY, DIS)

Tout le monde croit connaître le géant du divertissement, mais en fait, bien peu saisissent la réelle force de son mode de fonctionnement, estime M. Rochon.

«En surface, ses parcs thématiques semblent sujets aux aléas du tourisme ; mais saviez-vous que Walt Disney & Co. a accru ses tarifs d'entrée tous les ans, depuis 1971 ? La force d'attraction de sa marque lui donne le pouvoir d'imposer ses prix. Disney module aussi le cycle de vente et les prix de ses films. Cette capacité lui confère un avantage concurrentiel unique, qui enrichit ses actionnaires», explique le gestionnaire.

Disney est aussi moins une «otage» des changements technologiques que bien des entreprises du secteur de la technologie, qui doivent mettre sur le marché de nouveaux gadgets à un rythme effarant, fait valoir M Rochon.

«Chaque nouvelle technologie devient pour l'entreprise un nouveau canal de distribution pour ses films et ses émissions. Contrairement à d'autres distributeurs, Disney n'a pas à payer de redevances élevées à des créateurs de contenu pour les diffuser», ajoute le gestionnaire.

La qualité des dirigeants pèse aussi lourd dans le jugement que porte M. Rochon sur ses candidates de placement. À ce titre, il estime que les qualités de visionnaire et de rassembleur de Robert A. Iger, chef de la direction, sont celles qu'il faut pour mettre les forces de Disney à profit.

De surcroît, les investisseurs peuvent «acheter» ce modèle d'entreprise à bon prix, l'action de Disney se négociant à un multiple tout à fait «raisonnable» de 14,3 fois ses bénéfices prévus en 2013.

Groupe d'Alimentation MTY (Tor., MTY)

Le franchiseur des restaurants à service rapide a capté l'attention de M. Rochon, il y a de cela cinq ans.

Le mode de fonctionnement du franchiseur des restaurants Tiki Ming, Thaï Express, Sushi Shop et Valentine fait en sorte que l'entreprise dégage d'importants flux de trésorerie des redevances qu'elle collecte de ses franchises. Groupe d'Alimentation MTY peut ensuite réinvestir ces flux dans l'achat d'autres chaînes dont il améliore les pratiques.

M. Rochon aime bien que la croissance de MTY requière peu d'investissements en immobilisations. «Ses clients, dans les centres commerciaux, sont en quelque sorte captifs. McDonald's, en revanche, doit réinvestir davantage pour attirer des clients et lancer de nouveaux produits», explique-t-il.

«Stanley Ma, son président, est un réel entrepreneur et bâtisseur qui consacre toutes ses énergies à ses affaires et qui fuit la notoriété», dit aussi M. Rochon.

MTY est aussi reconnue pour exercer un contrôle assidu sur ses coûts d'exploitation, malgré sa taille croissante.

Bien que MTY ne soit plus le secret bien gardé d'il y a quelques années, l'action du franchiseur s'échange encore à un multiple cours-bénéfice attrayant de 14,4 fois les bénéfices prévus dans 12 mois.

BILL KANKO

Président, de Black Creek Investment Management

«En connectant l'une à l'autre toutes les caractéristiques de chefs de file, il est possible de percevoir le potentiel que d'autres ne voient pas et de l'acheter lorsque le marché ne reconnaît pas sa valeur.»

Randstad Holdings (NY, RANJY)

Il faut une bonne dose d'esprit à contre-courant pour acheter le titre de la néerlandaise Randstad Holdings, le deuxième plus important groupe de services en ressources humaines du monde.

Son action a perdu 40 % de sa valeur depuis 12 mois, en raison des craintes suscitées par la crise et les mesures d'austérité en Europe.

L'entreprise, fondée en 1960 aux Pays-Bas, recrute des employés temporaires et offre des services de ressources humaines dans une quarantaine de pays. Chaque jour, plus de 500 000 employés temporaires travaillent dans des entreprises par l'intermédiaire de Randstad. La société fournit aussi des responsables des ressources humaines dans des agences hébergées chez les clients.

«La confiance d'acheter ce titre battu nous vient d'une connaissance de longue date de l'industrie des ressources humaines et de la culture de la société», explique Bill Kanko, gestionnaire du Fonds chefs de file mondiaux Castlerock.

À son avis, Randstad fait preuve d'une rare capacité d'adaptation dans son industrie, ouvrant et fermant ses «agences» rapidement en fonction de l'évolution locale du marché du travail. «Ils ont encore une approche entrepreneuriale malgré leur taille», dit M. Kanko.

WuXi PharmaTech (NY, WX)

M. Kanko se familiarise avec le marché chinois depuis 1994, mais n'y a fait ses premiers placements qu'en 2011, étant donné la difficulté d'y dénicher des chefs de file dirigés par des cadres qui travaillent pour leurs actionnaires.

Un de ces placements est le fournisseur de services cliniques contractuels WuXi PharmaTech, de Shanghai, qui a acquis les laboratoires AppTec Laboratory Services, du Minnesota, en 2008.

«WuXi est le chef de file en Chine et croît aux États-Unis en offrant aux grandes pharmaceutiques une main-d'oeuvre qualifiée à moindre coût», explique M. Kanko.

Les sociétés biopharmaceutiques impartissent de plus en plus leurs travaux de recherche clinique sur les molécules qu'elles mettent au point. Ces services représentent 88 % des revenus de WuXi.

En avril 2010, l'américaine Charles River Laboratories a fait une offre pour acheter WuXi. L'offre a avorté en raison de l'opposition des actionnaires Charles River à la transaction. «Cette offre indique que les dirigeants de Charles River avaient fait leur vérification diligente et que l'entreprise possédait selon eux de bonnes pratiques d'affaires et comptables», dit M. Kanko.

«Avec des liquidités de 2,78 $ US par action au bilan, une croissance annuelle de plus de 10 % de ses revenus et de ses bénéfices, et la vague de l'impartition pharmaceutique, l'évaluation de 10,3 fois les bénéfices prévus en 2013 est attrayante pour cette entreprise méconnue», ajoute le président de Black Creek Investment Management.

«La qualité clé d'un investisseur créatif est de tolérer l'insécurité propre au placement pour ne pas qu'elle paralyse les décisions d'achat.» - François Rochon, président de Giverny Capital

LES QUALITÉS DE L'INVESTISSEUR CRÉATIF

Être passionné par le placement et les entreprises

Avoir un esprit ouvert

Faire preuve de curiosité

Concentrer toute son attention sur les entreprises exceptionnelles

Fuir les foules et les modes

Investir différemment, parfois à contre-courant

Avoir la force de caractère d'ignorer les fluctuations des marchés

Refuser d'investir dans ce qu'on ne connaît pas

Étendre son horizon de placement sur plusieurs années

Penser comme un acquéreur d'entreprises et non un acheteur de titres

Source : Les gestionnaires interviewés pour cet article.

dominique.beauchamp@tc.tc

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