DÉFI : PATRON DE FILIALE

Publié le 01/05/2009 à 00:00

DÉFI : PATRON DE FILIALE

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Le Québec compte de plus en plus de filiales. Les gestionnaires devront s'habituer à gérer autrement. Voici à quoi ressemble leur réalité.

Défi no 1

Exécuter

Il faut répondre à des objectifs fixés par une maison-mère qui se trouve parfois à des milliers de kilomètres.

Défi no 2

Se vendre

Il faut se faire voir et se faire entendre du siège social pour obtenir des marchés et se tenir au fait des décisions à venir.

Défi no 3

Plaider sa cause

Il faut expliquer à la maison-mère les contraintes particulières de cette filiale.

Défi no 4

S'allier

Il faut décrocher l'appui des élus des organismes de développement économique.

Les 16 et 17 février derniers, au Château Bonne Entente de Qué-bec se tenait la deuxième édition du Forum des dirigeants de filiales étrangères du Québec. Une rencontre très privée, qui n'a fait les manchettes d'aucun média. Pourtant, ce qui s'y est passé est capital pour l'économie de la province. La cinquantaine de dirigeants de filiales présents représentent à eux seuls environ 50 000 emplois directs. Avec une telle représentativité, ils n'étaient pas seuls, on s'en doute, dans la salle. Il y avait aussi le ministre Raymond Bachand, accompa- gné d'autres poids lourds du monde politique, ainsi que plusieurs représentants d'organismes de développement économique. Si les dirigeants étaient là pour partager leurs meilleures pratiques, le lobby était aussi à l'honneur. Et le ministre a écouté.

Et pour cause. On connaît le Québec comme une économie de PME. Cependant, il faudra de plus en plus parler d'une économie de filiales. En 15 ans, la mondialisation et l'Accord de libre-échange nord-américain ont multiplié par trois les investissements directs étrangers (IDE), rappelle Investissement Québec, un organisme de prospection consacré aux filiales. Ces IDE prennent plusieurs formes, dont celle de fusions et acquisitions dans 85 % des cas. Leur valeur a d'ailleurs connu une effervescence sans précédent au cours des dernières années et a culminé en 2007. Le Québec, qui regorge notamment de ressources naturelles, n'a pas échappé à cette frénésie. C'est ainsi que plusieurs entreprises d'ici sont passées sous contrôle étranger, devenant des filiales de grands groupes mondiaux.

La "filialisation" de l'économie du Québec inquiète. Passer sous contrôle étranger équivaut-il à disparaître à plus ou moins long terme ? Non, répond Élie Farah. Au contraire, les quelque 1 000 filiales étrangères au Québec sont bonnes pour l'économie. "Elles sont même une excellente chose !" s'exclame le vice-président Investissements Grand Montréal de Montréal International, un organisme de prospection. Pour preuve, il cite une étude de Statistique Canada qui affirme que les entreprises sous contrôle étranger sont plus productives, offrent de meilleurs salaires et une meilleure rému-nération, font plus de R-D, innovent da- vantage, et utilisent plus souvent des technologies de pointe. "De plus, grâce à elles, nos entreprises peuvent s'intégrer dans la chaîne d'approvisionnement mondial", ajoute Alain Proulx, directeur de la promotion des investissements au ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation (MDEIE).

Exécuter

Il y a les bienfaits pour l'économie en général, et il y a le quotidien des patrons de filiales qui, lui, n'est pas de tout repos. Leur première responsabilité : répondre aux objectifs fixés par une maison-mère parfois située à des milliers de kilomètres. Est-ce un processus top-down ? Plutôt, si on se fie à la japonaise Bridgestone. "Tokyo nous donne la vision que nous avons la responsabilité de concrétiser, explique Robert Verreault, le directeur général de l'usine de fabrication de pneus de Joliette. Nous ne pouvons pas aller contre cette vision." S'il dispose d'une certaine liberté pour la mise en oeuvre, le dirigeant se sent toutefois menotté : "Ce qui est stressant, c'est que si je n'ai pas une bonne performance, il m'est impossible d'exécuter un virage à 180 degrés. Je ne peux pas changer beaucoup de choses."

"Les objectifs ne nous sont pas imposés unilatéralement, assure Vincent Lamoureux, directeur des communications chez Merck Frosst, à Montréal. Ils sont issus d'une discussion fondée sur l'information transmise à la maison-mère." Et ça discute ferme... car il faut plus de quatre mois pour mener ce processus à terme. Ainsi, à la fin de l'été 2008, la filiale de la société pharmaceutique commençait déjà ses pourparlers avec la maison-mère pour fixer les objectifs de l'année. "Il faut négocier, mais je vous laisse deviner qui a le dernier mot !" ajoute Vincent Lamoureux en riant. Il faut dire que le temps où l'usine de Kirkland jouissait d'une relative indépendance est révolu : en raison de l'arrivée à échéance des brevets et du manque de nouvelles molécules, l'industrie pharmaceutique est en pleine transformation. Comme si cela ne suffisait pas, Merck se remet à peine du scandale de l'anti-inflammatoire Vioxx survenu en 2004, dont le règlement aux États-Unis lui a coûté 4,85 milliards de dol- lars. Nul doute, le suivi est serré ; il est même quotidien !

Alors, pour être tranquille, il faut atteindre ses objectifs ou les dépasser. Plus facile à dire qu'à faire, certes. Mais c'est tout de même le tour de force que réalise Robert Verreault, en dépit de la tourmente que connaît le secteur automobile et de la flambée des prix des matières premières qui augmente le coût de fabrication d'un pneu. Grâce à un investissement de quelque 53 millions de dollars qui a permis de robotiser toute l'usine en 2005, la productivité augmente de 3 % chaque année et permet aujourd'hui de fabriquer 62 produits différents. "Chaque année, nous présentons un plan d'affaires et un plan budgétaire. Et le siège social les accepte ou les refuse."

Se vendre

Exécuter ne suffit pas. Il faut aussi se faire voir et se faire entendre du siège social pour obtenir des mandats ou, du moins, pour se tenir au fait des décisions à venir. "Une filiale doit se démener. Celle qui n'a pas reçu de projet ou d'investissement depuis trois ans devrait s'inquiéter", estime Louise Morin, vice-présidente aux affaires internationales d'Investissement Québec. Un peu de stratégie s'impose cependant ; pas question de courir après n'importe quel mandat, et surtout pas les mandats à faible valeur ajoutée. Trop fragiles, ils risquent d'être perdus au profit d'usines situées dans des pays où le coût de la main-d'oeuvre est moins élevé. "Pour survivre, la filiale doit se spécialiser dans une niche et développer une expertise qu'aucune autre filiale ne possède dans le réseau. Il vaut mieux être la seule filiale du groupe à être capable de faire une certaine chose ou d'utiliser une certaine technologie", explique Élie Farah.

Dans cette course aux mandats, la concurrence ne vient plus des autres sociétés, mais plutôt de la famille même, des autres filiales. Une stratégie de la maison-mère qui veut forcer ses unités d'affaires à rester à l'affût des occasions et des moyens qui lui permettront de se développer. "En matière de ventes, notre concurrence vient des autres compagnies pharmaceutiques, les novatrices comme les génériques, explique Vincent Lamoureux. Cependant, pour les mandats de R-D et de fabrication, elle vient des autres filiales. Et ça joue assez dur, parfois." Il faut donc chercher les bons coups, et le meilleur de Merck Frosst, c'est peut-être son médicament contre l'asthme, le Singulair. "C'est nous qui l'avons découvert, et aujourd'hui, c'est le premier vendeur du groupe", ajoute-t-il.

L'Oréal Canada a également développé une niche en décrochant, en janvier 2007, le mandat mondial pour la production, à l'échelle des Amériques, de produits capillaires défrisants destinés aux populations ethniques. Toutefois, d'après André Rémillard, vice-président aux finances, toutes les occasions de se démarquer sont bonnes pour décrocher des mandats. Il est d'ailleurs très fier que sa filiale ait servi de modèle pour tester l'implantation heureuse d'un système de gestion informatique SAP. "C'est le genre de choses qui permet de bâtir notre crédibilité à l'intérieur du groupe", explique-t-il. Le projet SAP a sûrement contribué à l'image positive des derniers présidents de L'Oréal Canada, qui siègent tous les deux au comité exécutif de L'Oréal monde. "Cela veut dire que L'Oréal Canada est une filiale crédible", ajoute André Rémillard.

Tant pis si les relations publiques ne lui plaisent pas, le dirigeant d'une filiale doit se transformer en vendeur pour faire parler de sa filiale et pour se tailler une place dans le réseau. "Les filiales sont souvent des PME qui viennent de se faire acheter, et le dirigeant ne connaît pas les règles du jeu du groupe dont il fait maintenant partie, souligne Louise Morin. Nous leur expliquons à quel point la représentation auprès de la maison-mère compte pour décrocher des mandats." Une filiale doit absolument comprendre les politiques internes, la façon dont les ressources sont allouées et le processus de prise de décision, affirme Ginette Gagné, vice-présidente des finances chez CryoCath, une PME montréalaise qui vient d'être absorbée par l'américaine Medtronic. "Au moment de l'acquisition, l'entreprise cible est inquiète, confie-t-elle. Elle se demande si elle sera capable de faire toutes les représentations nécessaires."

C'est dans cet esprit que Howard Silverman, de CAI Global, une firme de consultation spécialisée dans l'expansion et dans la relocalisation d'entreprises, a développé le CEO Master Class, un cours qui apprend à positionner sa filiale à l'intérieur du réseau. "Un gestionnaire de filiale ne peut pas tenir pour acquis que la maison-mère connaît son usine et ses atouts, explique le consultant. Il doit donc être vu en participant aux meetings internationaux, en soumettant sa candidature pour l'obtention d'un prix ou en faisant parler de sa filiale dans le bulletin interne." En somme, c'est un peu comme un employé qui veut évoluer dans la hiérarchie de son entreprise : il doit se faire connaître à l'intérieur du réseau en s'engageant dans l'organisation du party de Noël !

Plaider sa cause

Ce travail de relations publiques joue un autre rôle : la justification de certains délais ou de certains coûts. "C'est vrai que nous devons parfois nous justifier, admet Vincent Lamoureux. Nous expliquons les particularités du marché canadien, sa réglementation et le fonctionnement de Santé Canada, par exemple." Robert Verreault se prête également à l'exercice : "Ce qui inquiète Tokyo au sujet du Québec, ce sont notamment les lois environnementales. La fabrication de pneus génère des odeurs, et ici, nous devons prendre les moyens pour les réduire. Cela nous désavantage par rapport à d'autres filiales."

Mais il n'est pas dit que le siège social restera insensible aux contraintes imposées par la filiale. Chez Merck, par exemple, la maison-mère se montre plutôt flexible à l'égard de la loi sur le bilinguisme, qui représente des coûts supplémentaires en temps et en argent : "Étant donné que nous devons tout produire dans les deux langues, on nous accorde toujours quelques jours de délai, témoigne Vincent Lamoureux. Merck vise l'intégration des filiales, mais on y accepte que certaines aient leurs particularités."

Cette sensibilisation aux réalités du pays d'accueil permet de nuancer les idées préconçues et négatives qu'une maison-mère peut avoir. "Le taux de syndicalisation au Québec est plus élevé qu'aux États-Unis. Mais il faut expliquer que nos syndicats sont souples, qu'il y a peu de grèves, et que le climat entre patrons et syndiqués est généralement bon", rappelle Alain Proulx. Toutefois, cela ne fonctionne pas toujours : l'exemple du magasin Wal-Mart de Jonquière montre que les syndicats ne feront jamais partie du plan d'affaires du géant du détail.

Ainsi, dans ces opérations de relations publiques, le dirigeant d'une filiale justifie, nuance et fait la promotion du Québec en mettant de l'avant les avantages qui compensent les contraintes. "En fait, ils doivent expliquer le "produit Québec", poursuit Alain Proulx. Ils en deviennent des ambassadeurs. Souvent, la maison-mère ne connaît pas le Québec, elle n'en a qu'une idée vague. L'important, c'est d'expliquer la différence et de présenter les avantages, comme nos incitatifs fiscaux et notre main-d'oeuvre qualifiée."

S'allier

Vendre ou faire accepter les particularités du Québec à l'étranger, les dirigeants de filiale y sont habitués. Mais ils s'attendent bien à ce que les élus et les agences de développement économique les aident à leur tour à améliorer l'environnement d'affaires. Une quarantaine de facteurs influencent les décisions d'investissement d'une multinationale, souligne CAI Global dans son étude Pourquoi réinvestir au Québec. Pour récolter et conserver les dollars, il faut satisfaire ces géants. Il arrive que le gouvernement aide une filiale à décrocher un mandat en lui donnant un coup de pouce avec son plan d'affaires ou en lui avançant une portion des investissements nécessaires pour la réalisation de ce plan. "Ce n'est pas de l'aide sociale aux entreprises, insiste Howard Silverman. L'environnement est mondial, et la concurrence forte."

L'année 2009 ne sera pas celle des investissements tous azimuts. "Les entreprises reportent leurs décisions et attendent de voir ce qui va se passer", observe Élie Farah. La concurrence grimpe d'un cran, alors que des filiales se battent pour de plus petites enveloppes, tandis que d'autres luttent simplement pour leur survie. Mais le malheur des uns peut faire le bonheur des autres, dit Louise Morin : "La situation actuelle présente aussi des occasions : une filiale qui ferme, ce peut être un nouveau mandat pour une autre filiale".

aude.perron@transcontinental.ca

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