" Le développement du capitalisme d'État créera de l'incertitude "

Publié le 03/01/2009 à 00:00

" Le développement du capitalisme d'État créera de l'incertitude "

Publié le 03/01/2009 à 00:00

Par François Normand

Ian Bremmer, spécialiste des enjeux politiques mondiaux, nous livre son analyse du dernier rapport du National Intelligence Council.

Journal Les Affaires - Ce rapport prévoit que le système international sera multipolaire en 2025 avec la montée de la Chine, de l'Inde et d'autres puissances. Nous dirigeons-nous vers un monde plus instable ?

Ian Bremmer - Cet ordre multipolaire sera moins prévisible et stable que le système bipolaire de la Guerre Froide ou le monde unipolaire qui a suivi. La multipolarité créera de la volatilité, parce que certains États formeront des alliances, sans parler de certains blocs de pays qui seront en compétition entre eux.

De plus, les États-Unis perdront clairement de l'influence sur la scène internationale. Cela dit, quand l'économie américaine reprendra du tonus, dans les années à venir, Washington continuera à jouer un rôle vital dans le système international. À quel point ? Cela dépendra de la cohérence des politiques de pays comme la Chine, l'Inde et même l'Union européenne dans la prochaine décennie.

JLA - Quels pays ou régions du monde menaceront le plus la stabilité mondiale ?

I.B. - Cela dépendra des menaces à la production et au libre transport du pétrole, du gaz naturel et des autres matières premières de base, ainsi que de la prolifération des armes nucléaires et autres armes de destruction massive. Par exemple, des pays émergents dépendants de l'importation de matières premières vitales - comme la Chine et l'Inde - continueront à avoir des politiques pour sécuriser l'accès à ces ressources [notamment en Afrique et au Moyen-Orient].

De plus, la volatilité des prix pourrait toucher fortement l'économie de ces pays, ce qui provoquera un ralentissement et aura un impact sur leur taux de chômage et leur stabilité politique.

Par ailleurs, si l'Iran développe des armes nucléaires, la région du golfe Persique entrera dans une phase d'instabilité et peut-être dans une course aux armements.

La péninsule coréenne sera aussi à surveiller avec le risque accru de l'effondrement du régime communiste en Corée du Nord, sans parler du manque de fonds pour financer la réunification des deux pays.

Le cas échéant, ce serait une opération extrêmement dispendieuse qui, si elle était mal gérée, pourrait provoquer de sérieuses turbulences politiques en Asie de l'Est.

Enfin, la région à la périphérie de la Russie - le Caucase, l'Asie centrale et les anciennes républiques soviétiques comme l'Ukraine - demeurera une zone instable où plusieurs grandes puissances seront en compétition pour exercer leur influence dans les années à venir.

JLA - À quoi doivent s'attendre les gens d'affaires et les investisseurs dans ce nouveau monde plus instable ?

I.B. - Le développement du capitalisme d'État [régime dans lequel l'État joue un rôle prédominent dans l'économie], caractéristique de pays comme la Russie et la Chine, créera de l'incertitude auprès des investisseurs à cause du manque de compétition dans plusieurs secteurs.

Dans les pays où règne le capitalisme d'État, les gouvernements continueront aussi à changer les règles d'investissement pour favoriser des entreprises locales, et pas seulement les sociétés d'État.

Par ailleurs, il y aura probablement une variation considérable du risque dans les marchés européens : le choc de la mondialisation et l'expansion de l'Union européenne inciteront les dirigeants de ces pays à adopter des approches beaucoup plus hétérogènes qu'aujourd'hui.

JLA - L'Organisation mondiale du commerce (OMC) aura-t-elle toujours un rôle à jouer en 2025 ?

I.B. - Oui, mais pas dans sa forme actuelle. Comme Darwin l'a déjà dit : " Ce ne sont pas les espèces les plus fortes qui survivent ni les plus intelligentes, mais celles qui peuvent le mieux s'adapter au changement. " Comme l'Organisation des Nations Unies (ONU), le Fonds monétaire international (FMI) et d'autres institutions multilatérales, l'OMC devra s'adapter au transfert de pouvoir dans le monde, et ce, en donnant une plus grande voix au chapitre aux gouvernements des économies émergentes les plus dynamiques.

Dans sa nouvelle forme, l'OMC continuera d'être un forum pour régler des litiges commerciaux. Mais elle sera moins importante pour l'élaboration d'initiatives de création de la richesse : le nombre accru de pays exerçant une influence réelle rendra plus difficile l'atteinte de consensus.

JLA - Y aura-t-il plus de protectionnisme d'ici 2025 ?

I.B. - Le protectionnisme ne disparaîtra jamais complètement. Les gouvernements ne pourront pas ignorer les pressions exercées par les lobbys dans leur pays. Il y aura donc toujours des acteurs qui obtiendront l'adoption de mesures protectionnistes pour tenir certaines secteurs et entreprises à l'écart de la compétition.

Malgré tout, en 2025, les gouvernements des États les plus puissants auront moins recours au protectionnisme qu'aujourd'hui, car ils auront besoin d'accéder à de nouveaux marchés.

( CV )

Nom: Ian Bremmer

Âge: 39 ans

Fonction: Président

Entreprise: Eurasia Group

Il a joint en 1998 cette firme américaine qui conseille les investisseurs sur les risques politiques. Il était auparavant membre de l'Institut Hoover, à l'Université Stanford, en Californie.

francois.normand@transcontinental.ca

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