" J'ai gagné une autre forme de pouvoir que j'exerce avec doigté et respect "

Publié le 20/03/2010 à 00:00

" J'ai gagné une autre forme de pouvoir que j'exerce avec doigté et respect "

Publié le 20/03/2010 à 00:00

Nermine Vermette s'est réinventée plusieurs fois. Elle a changé de pays à quatre reprises : Égypte, Brésil, Canada, Émirats arabes unis. Et d'univers professionnels deux fois : une carrière de 21 ans dans le secteur bancaire, puis le grand saut en entreprise, chez Future Electronics. Depuis 2008, la Montréalaise est installée à Dubaï. Contrairement à son passage chez Future Electronics, où l'on était venu la chercher, l'émigration à Dubai tenait du saut dans le vide. Pour faire avancer sa carrière, qu'elle jugeait bloquée au Canada, elle a quitté son emploi sans garantie aucune. Mais avec une idée bien précise en tête : faire sa place dans une des économies les plus effervescentes de la planète. Elle y est parvenue. Les Affaires l'a rejointe le soir à son domicile de Dubaï.

Diane Bérard - Les expatriés travaillent surtout pour des sociétés internationales à Dubaï. Vous êtes à l'emploi d'une firme émiratie, quelle est la différence ?

N.M. - Tout ! Lorsque vous travaillez pour une société internationale, le choc culturel se vit surtout à l'extérieur du travail. De 9 à 5, votre vie ressemble à celle que vous meniez dans votre pays. Lorsque votre employeur est local, il faut vous adapter entre 5 à 9 et entre 9 et 5.

D.B. - Votre processus d'embauche a été mouvementé. Racontez.

N.M. - Il m'a fallu un an pour y parvenir. Pendant des mois, j'ai mené plusieurs démarches simultanées dans la région. Tout cela en multipliant les allers-retours à partir Montréal. À Dubaï, j'avais deux cibles : une université, et le holding qui m'a recrutée. La direction de l'université m'a soumise à un marathon d'entrevues de 10 jours consécutifs. Chaque fois, il y avait quelqu'un de nouveau à rencontrer, et ensuite, chacun voulait connaître l'opinion des autres à mon égard. Dans le cas du holding, je me suis présentée à six entrevues. Après la cinquième, le processus a été stoppé. J'ai conclu que cela se terminait là. Mais non. Plusieurs semaines plus tard, on m'a invitée à une rencontre qui se tenait... le lendemain ! Heureusement, je séjournais chez une amie au Qatar. Un vol d'à peine 45 minutes. Imaginez, si j'avais dû partir de Montréal.

D.B. - Vous pouvez accorder cette entrevue à condition de ne pas dévoiler le nom de votre employeur. Que pouvez-vous dire de lui ?

N.M. - Il s'agit d'une société privée locale en affaires depuis 30 ans, qui compte 7 500 employés. Nous oeuvrons dans le secteur industriel, de l'automobile et du commerce de détail. Nous sommes présents aux Émirats arabes unis, en Arabie Saoudite ainsi qu'au Bahreïn. Nous ne divulguons aucun chiffre. Même nos banquiers ne peuvent conserver nos états financiers. Ils les consultent sur place, mais ne doivent pas repartir avec des copies.

D.B. - Toutes les sociétés émiraties sont-elles aussi discrètes ?

N.M. - Non, certaines d'entre elles divulguent davantage d'information financière.

D.B. - Vous avez l'habitude des entreprises discrètes, puisque vous avez travaillé cinq ans pour Future Electronics. Son pdg, Robert Miller, est un des dirigeants canadiens les plus mystérieux. Que pouvez-vous nous apprendre sur lui ?

N.M. - C'est un homme généreux, surtout lorsqu'il est question de la santé de ses employés. Quand j'ai eu des ennuis, il m'a envoyée à New York, dans une des meilleures cliniques du monde. J'en suis revenue rassurée. Il en est ainsi chaque fois qu'un employé de Future Electronics ne reçoit pas un diagnostic ou des soins adéquats au Canada. M. Miller l'envoie à ses frais aux États-Unis.

D.B. - Jusqu'à quel point avez-vous eu à adapter votre façon de travailler pour respecter la culture d'affaires des Émirats ?

N.M. - J'ai dû accepter que pour la direction, contrôler et vérifier importe davantage qu'optimiser. Ils sollicitent de nouvelles idées, mais sur le terrain, ils demeurent très conservateurs. Chez Future Electronics, M. Miller m'avait donné carte blanche pour implanter des plateformes électroniques pour la gestion de la trésorerie. Le transfert de fonds en était grandement simplifié. Ici, la direction veut voir du papier et signer des chèques. L'univers virtuel leur paraît trop risqué. J'ai compris que si je voulais innover, il fallait le faire à l'intérieur de certaines limites. Et surtout, que je devais faire preuve de patience.

D.B. - Vous n'avez pas pu mettre en pratique les méthodes de pointe apprises en Amérique du Nord, avez-vous l'impression d'avoir reculé en allant à Dubaï ?

N.M. - Je n'ai pas implanté les dernières technologies, c'est vrai. Par contre, j'accomplis un travail de pionnière, ce que je n'ai jamais fait au Canada. Ici, tout est à bâtir. Notre société n'avait pas de service juridique, j'ai collaboré à sa création. Nous ne traitions qu'avec une seule banque, j'ai élargi le réseau à plusieurs institutions. Nous abordions peu la question de la gouvernance, je contribue à faire avancer le dossier. J'ai gagné une autre forme de pouvoir. Il faut simplement l'exercer avec doigté et respect.

D.B. - Quelle est votre plus grande réussite depuis que vous êtes installée à Dubaï ?

N.M. - D'abord, j'ai survécu ! Vous savez, les plus grandes victoires ne sont pas toujours tangibles. En marge de ce qu'on apprend, les connaissances, il y a ce qu'on découvre sur soi, sur son caractère, ses forces et ses limites. Je me connais beaucoup mieux maintenant.

D.B. - Malgré le conservatisme, avez-vous réussi à implanter des changements chez votre employeur ?

N.M. - Bien sûr. Je n'ai qu'un seul style de gestion, je l'ai apporté dans mes bagages et je le pratique tous les jours avec mon équipe. Je crois au développement professionnel, au désir de chacun d'apprendre et de relever de nouveaux défis. J'ai travaillé 20 ans dans le système bancaire canadien où on m'a donné la chance de progresser. Maintenant, j'offre cette chance à mes employés. Plusieurs d'entre eux occupent le même poste depuis longtemps. On ne les a pas incités à se développer, ce n'est pas dans la culture ici. Alors, doucement, je l'ai fait. Vous devriez voir leur bonheur. Je crois bien qu'ils me donneraient la lune si je la leur demandais.

D.B. - Vos employés sont-ils tous des Émiratis ?

N.M. - Non. On trouve plusieurs Indiens et Libanais. En fait, notre entreprise est très multiethnique, ce qui rend la gestion plutôt complexe. Il faut s'adapter à plusieurs cultures en même temps dans les relations personnelles, tout en respectant la ligne directrice de la culture émiratie.

D.B. - Comment vos patrons voient-ils votre style de gestion progressiste ?

N.M. - Ils me laissent faire. Mais, j'y suis allée par étapes. Les Émiratis n'accordent pas leur confiance rapidement. Et j'ai appris à toujours manoeuvrer à l'intérieur des paramètres établis en considérant l'impact de mes actions sur les autres services. Un réflexe que j'ai développé grâce à mon MBA McGill HEC développé par la sommité mondiale en gestion Henry Mintzberg, où on apprend à gérer de façon unifiée plutôt qu'en silos.

D.B. - La situation de Dubaï est-elle aussi sombre que le prétendent les médias ?

N.M. -Non. Le marché immobilier et la construction se sont effondrés, certes, mais depuis la correction des prix, les multinationales se bousculent pour y établir leur siège social. Et la zone franche fonctionne très bien. Je surveille toutefois les conditions de renégociation des dettes des banques, de DP World et de Dubai Holding. Il faut souhaiter que les créditeurs se montrent compréhensifs sur les délais de remboursement.

D.B. - En 2007, vous avez quitté Future Electronics sans aucun emploi en vue. N'était-ce pas un grand risque pour une financière ?

N.M. - Le risque consistait plutôt à demeurer au Canada. L'Amérique du Nord n'est pas un endroit facile pour mener une carrière. Il y a bien sûr Toronto, mais on n'y travaille qu'avec ceux qu'on connaît. Les Américains se montrent plus ouverts, mais leur économie se porte encore plus mal que la nôtre. Quitter une économie mature pour une économie en croissance, c'est plutôt ce que j'appelle de la saine gestion de risque !

Le pourquoi

Nermine Vermette est une des rares Canadiennes à travailler pour une société émiratie. En tant que cadre supérieure dans une firme de 7 500 employés, elle a acquis une connaissance de la culture d'affaires locale que peu d'Occidentaux possèdent. Alors que les firmes québécoises et canadiennes lorgnent de plus en plus vers le Moyen-Orient pour poursuivre leur développement, les réflexions de Nermine Vermette sur la façon dont les Émiratis mènent leurs affaires méritent qu'on s'y arrête.

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