Liberté 70

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Liberté 70

Publié le 01/10/2009 à 00:00

MAUDE CHAUVIN

La retraite à 55 ans était un pétard mouillé. Les entreprises veulent des "cheveux gris". Et les boomers, eux, ont envie - et parfois besoin - de continuer à travailler.

Dans la section des petites annonces, Rona envoie un message clair : "Avis aux chercheurs d'emplois. Rona lance sa campagne de recrutement. Bienvenue aux retraités passionnés de rénovation et de jardinage". Depuis cinq ans, le détaillant de produits quincailliers ne s'en cache pas : au moment de recruter, il cible particulièrement les travailleurs de 50 ans et plus. "Nos clients vont spontanément vers notre personnel aux cheveux blancs lorsqu'ils ont besoin d'un conseil", note Catherine Girard, conseillère en recrutement chez Rona. "Même si la couleur des cheveux n'a rien à voir avec les années passées au sein de l'entreprise, les clients ont l'impression que les travailleurs âgés s'y connaissent plus", ajoute-t-elle.

Les détaillants ont au moins deux raisons de rechercher les retraités. En plus d'inspirer confiance aux clients, ceux-ci seraient synonymes de stabilité. "Les entreprises de ce secteur font face à un haut taux de roulement. Dans le cas des travailleurs retraités, elles savent qu'elles pourront compter sur eux pendant au moins cinq ans", souligne Julie Carignan, psychologue industrielle à la Société Pierre-Boucher. "Comme la plupart des travailleurs prennent leur retraite vers 55 ans, il leur reste quelques belles années devant eux", poursuit-elle.

Plus d'un million de Québécois prendront leur retraite d'ici 2017. La moitié d'entre eux auront quitté leur emploi dans moins de trois ans. En 2009 seulement, le gouvernement prévoit environ 100 000 départs. La plupart des travailleurs partiront à 58 ans dans le secteur public, et à 61 ans dans le secteur privé.

"C'est bien jeune pour se retirer alors que nous pouvons vivre au-delà de 80 ans", remarque André Grenier, économiste à Emploi-Québec. Selon Statistique Canada, un retraité sur cinq revient sur le marché du travail moins de deux ans après avoir pris sa retraite. Les hommes sont plus enclins à y retourner que les femmes. Au Québec, 72 000 personnes de 65 ans et plus travaillent toujours, et elles seront au moins 100 000 d'ici 10 ans. "Mais rares sont ceux qui poursuivent une carrière passé 70 ans ; 45 % des travailleurs partent avant 60 ans", précise André Grenier.

Les boomers ont tout de même tendance à repousser l'heure de la retraite. D'une part, leurs économies ne suffiront pas pour maintenir leur niveau de vie. Et parmi ceux qui avaient déjà tiré leur révérence, bon nombre songent à se trouver un emploi pour avoir un revenu d'appoint. Un sondage du Centre info-retraite de BMO rapporte justement que 41 % des retraités ont la ferme intention de retrouver un emploi salarié au cours de la prochaine année. "C'est d'abord l'argent qui pousse les retraités à réintégrer le marché du travail", indique Tina Di Vito, directrice générale, Stratégies de retraite, chez BMO Groupe Financier. "De nombreux boomers ont mal planifié leur retraite. Ils ne savent pas combien ils recevront de la Régie des rentes du Québec et ne connaissent pas le montant dont ils disposeront grâce à leur régime de retraite au travail", explique-t-elle.

Par contre, certains retraités choisissent de travailler par pur plaisir, pour relever de nouveaux défis ou pour se créer un réseau de contacts. Après 30 ans de carrière, il est parfois difficile de couper les ponts. C'est le cas d'André Millette, qui avait décidé de prendre sa retraite il y a trois ans. Ce spécialiste de l'immobilier chez BMO avait prévu retourner aux études, voyager et faire du bénévolat. "Mon patron m'a finalement convaincu, quelques mois après mon départ, de revenir d'abord pour un contrat. Et voilà, je suis toujours en poste !" dit-il.

Les banques et les centres d'appels cherchent précisément de plus en plus à embaucher des retraités pour assortir leur image à la démographie. Ces entreprises de service constatent que leurs employés doivent ressembler à leur clientèle. Une clientèle qui, comme le reste de la population, vieillit. Il est question de confiance et de crédibilité. "C'est un comportement typiquement humain. Les clients préféreront parler d'argent ou de problèmes financiers avec un travailleur âgé plutôt qu'avec un jeune. Une voix mûre les rassure", observe la psychologue Julie Carignan.

À cause de leur clientèle ou de leur secteur d'activité, l'expérience des personnes à la retraite vaut de l'or pour certains employeurs. C'est d'autant plus vrai dans les secteurs de la construction, de l'ingénierie et de la santé. "S'ils le veulent, certains retraités ont l'occasion d'entamer une deuxième carrière", pense Frédéric Lesemann, sociologue et professeur à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS). "Une fois à la retraite, les avocats, les gestionnaires et les hauts fonctionnaires peuvent ouvrir leur cabinet de consultation et vendre leurs services aux gouvernements, aux grandes sociétés internationales et aux ONG. L'expérience de ces travailleurs est une richesse inestimable", explique le professeur.

La firme d'ingénierie Dessau a fait appel à ces travailleurs d'expérience. Pour apporter du renfort sur ses nombreux projets dans le monde, elle a recruté des ingénieurs qui ont fait carrière au ministère des Transports du Québec. Ceux-ci possèdent un savoir-faire qu'il serait difficile de trouver chez un jeune ingénieur. "Leurs compétences sont essentielles pour réaliser nos contrats et rester concurrentiels", reconnaît Denis Giroux, vice-président aux ressources humaines chez Dessau. Il ajoute toutefois que si ces retraités ont accepté de reprendre du service, c'est parce que le jeu en valait la chandelle. "Ils sont revenus au travail parce que nous leur offrons de vrais défis. Par exemple, certains sont partis gérer des chantiers au Chili, d'autres en Algérie."

On s'en doute, les boomers n'ont pas tous les mêmes chances d'aspirer à une seconde carrière après la retraite. Ainsi, pour ceux qui ont été licenciés à la suite des récentes fermetures d'usines et de scieries, l'avenir est moins rose. Difficile de se replacer à 55 ans quand on n'a pas de diplôme. Les entreprises préfèrent investir dans la formation des jeunes. "Il ne faut pas se leurrer, les préjugés concernant les travailleurs âgés persistent, tient à signaler Martine Lagacé, professeure de communications à l'Université d'Ottawa. Vieillir est encore tabou dans notre société. Les personnes âgées sont perçues comme désuètes, moins productives et ignorantes en matière de technologie", poursuit-elle, ajoutant qu'il faut lutter contre les stéréotypes liés tant à l'âge qu'au sexe et à la race.

En Beauce, un programme qui incite les entreprises à recruter des travailleurs âgés et sans emploi vient d'être mis sur pied. Action 55 devrait permettre la réinsertion d'une centaine d'ouvriers âgés de 55 à 64 ans. "Nous avons frappé aux portes de toutes les entreprises de la région pour les sensibiliser aux problèmes de cette catégorie de travailleurs", confie Jean Lachapelle, responsable du programme. Il reconnaît que la majorité des employeurs hésitent à recruter cette main-d'oeuvre peu spécialisée. "Nous devons miser sur la force de ces employés, qui ont la réputation d'être des travailleurs ponctuels, fiables, vaillants et fidèles à leur employeur", dit-il. Grâce à ce programme, les participants pourront aussi suivre des cours qui leur permettront de se recycler dans d'autres secteurs que la production en usine, par exemple en dessin, en ébénisterie ou dans les centres d'hébergement.

"Nous ne pouvons pas nous priver de cette main-d'oeuvre !" insiste Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec. Près de 500 000 emplois devront être comblés d'ici 2012. Pour éviter un passage à vide, elle propose d'abord d'abolir le mythe de "Liberté 55". "Nous pouvons vivre en grande forme jusqu'à 75 ans. Pourquoi faut-il forcer les gens à se retirer de la vie active à 55 ans ?" s'interroge-t-elle. À son avis, le marché du travail devra s'adapter et offrir beaucoup plus de flexibilité aux travailleurs âgés. Il faudra leur permettre de rester plus longtemps sur le marché du travail, même si ce n'est pas à temps plein. "Le plus important, c'est d'avoir le temps de transmettre les connaissances d'une génération à l'autre."

Le gouvernement du Québec, pour sa part, favorise la retraite progressive pour encourager les travailleurs de 55 ans et plus à rester sur le marché. Ces travailleurs peuvent réduire leurs heures de travail tout en continuant à cotiser à la Régie des rentes du Québec (RRQ). De plus, le régime de la RRQ a été bonifié afin de permettre aux retraités de retourner au travail. Entre 60 et 65 ans, une personne qui a suffisamment cotisé peut donc toucher sa rente tout en travaillant. Comme elle continuera à cotiser, elle bénéficiera dès l'année suivante du supplément à la rente de retraite. De sorte que sa rente sera bonifiée jusqu'à la fin de ses jours d'un montant égal à 0,5 % de son revenu. "Depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle mesure, en 2008, 128 500 travailleurs retraités ont bénéficié d'un supplément à la rente", explique le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad.

Malgré tout, ce ne sont pas quelques dollars de plus qui inciteront André Millette à rester encore plusieurs années chez BMO. Son temps est trop précieux. Comme la plupart des travailleurs retraités, il tient à avoir un horaire souple qui lui permette de profiter de la vie. "J'ai accepté de sortir de ma retraite à certaines conditions. Pour chaque contrat de deux mois, je prends un mois de vacances, dit-il. Je réévalue chaque fois les occasions, parce que le plus important, c'est d'avoir du plaisir. On ne revient pas pour souffrir."

melanloisel@hotmail.com

À la une

Bourse: Wall Street plombée par Meta et la faible croissance américaine

Mis à jour il y a 3 minutes | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de New York a terminé en baisse, jeudi.

À surveiller: Bombardier, Dollarama et Canadien Pacifique

Que faire avec les titres de Bombardier, Dollarama et du Canadien Pacifique? Voici quelques recommandations d’analystes.

États-Unis: la croissance du PIB ralentit plus qu'attendu au premier trimestre

09:27 | AFP

Une croissance de 2,2% était attendue par les analystes pour les trois mois de janvier à mars.