La course contre la montre de Michelin

Publié le 01/12/2009 à 00:00

La course contre la montre de Michelin

Publié le 01/12/2009 à 00:00

Près de 30 000 départs volontaires, des fermetures d'usines et un ambitieux programme de productivité... le géant mondial du pneumatique accélère à fond pour accroître son avance technologique et ses parts de marché.

Son emblème, le sympathique Bibendum, est peut-être tout sourire. Mais Michelin, elle, est plutôt soucieuse... et essoufflée. Voilà près de quatre ans que la vénérable centenaire roule en première pour conserver sa place. Et il ne lui reste qu'un an pour conclure le virage amorcé en 2006. Un virage forcé qu'elle a pris sur les chapeaux de roues. Car si elle a longtemps été seule, ou presque, sur le podium, ce n'est plus le cas. Le prix à payer pour rester en tête est de plus en plus élevé.

Les matières premières (coton, caoutchouc, pétrole, zinc, cuivre, etc.) représentent 50 % du coût de revient d'un pneu et la flambée de leur prix a coûté 800 millions d'euros (1,27 G$ CA) au fabricant de Clermont-Ferrand en 2008. La réglementation en matière d'émissions de bruit et de CO2, quant à elle, va en s'accroissant. Que dire de la crise économique mondiale qui fait que les remplacements de pneus - 75 % du chiffre d'affaires de Michelin - sont reportés ? Et de la baisse des ventes de véhicules qui a miné le marché de la première monte (les pneus posés sur le véhicule à la fin de la chaîne de montage) ?

Il faut aussi composer avec la concurrence. Il y a d'abord cette pole position que Michelin et son rival japonais, Bridgestone, ne cessent de s'échanger, tandis que l'américain Goodyear leur souffle dans le cou. Mais si ces trois acteurs dominent sur le plan international, leurs parts de marché réunies sont passées de 55 à 46 % en dix ans en faveur des fabricants sud-coréens, chinois et indiens. Pour l'instant, cette concurrence asiatique est fragmentée, mais elle pourrait se consolider et faire émerger un rival digne de ce nom.

Rendre le coureur plus performant

Il n'y a pas une minute à perdre : il faut restructurer. C'est ce qui a donné naissance au plan de compétitivité 2006-2010. Objectif : hausser la productivité et économiser entre 1,5 et 1,7 milliard d'euros, soit de 2,4 à 2,7 milliards de dollars canadiens (coûts industriels, matières premières, administration, logistique, etc.). Cela se traduit par la mise en place de meilleures pratiques à l'intérieur du groupe, histoire de mieux performer, plus vite et pour moins cher. C'est ainsi que le Michelin Manufacturing Way (MMW) a vu le jour, sorte de kaizen adapté par le pneumaticien et que toutes les usines du groupe ont adopté sans tarder. Michelin procède aussi à la modernisation et à la spécialisation de bon nombre de ses usines. En France, par exemple, elle a fait de Montceau-les-Mines, en Bourgogne, un site de fabrication de pneus destinés au génie civil et un des deux plus grands centres européens de mélange de gommes. Coût de l'opération : 50 millions d'euros (79,4 M$ CA).

Michelin optimise également sa trame industrielle en regroupant ses usines afin qu'elles produisent au moins 100 000 tonnes de pneus par an. En 2012, 60 % de sa production viendra de ces grands sites (par rapport à seulement 25 % en 2005). Du coup, Michelin a fermé plusieurs usines, notamment en France, aux États-Unis et au Mexique, et a demandé le départ volontaire de 30 000 de ses employés.

En revanche, 15 000 personnes seront embauchées. " On veut faire rentrer des jeunes qui feront le travail de deux anciens employés, critique Emmanuel Pasquier, délégué central CFE-CGC, le syndicat des cadres, techniciens et agents de maîtrise chez Michelin. C'est clair, Michelin sera plus productive : non seulement grâce à la modernisation de ses outils, mais aussi grâce à la réduction de ses coûts salariaux ! "

En dépit de ce coût humain, Michelin tire un bilan positif : elle a économisé 511 millions d'euros (812 M$ CA) et la productivité a fait un bond de 20 % en cinq ans. " Cette restructuration était nécessaire, estime Éric-Alain Michelis, analyste senior à la Société Générale. Michelin doit être forte dans ses marchés matures pour financer ses activités dans les marchés émergents. "

Muscler l'Ouest et développer l'Est

" Muscler l'Ouest et développer l'Est ", c'est ainsi qu'Édouard Michelin, arrière-petit-fils d'un des deux frères fondateurs, décédé tragiquement en 2006, a formulé la stratégie d'expansion de la société. Muscler l'Ouest, c'est renforcer la compétitivité de l'Europe et de l'Amérique du Nord qui, en 2008, représentaient 81 % des ventes nettes. Cependant, la production se déplace de plus en plus vers des régions dans lesquelles les coûts sont plus faibles, comme la Pologne, note le délégué syndical Emmanuel Pasquier : " Depuis 10 ans, les effectifs en France baissent de 3 % chaque année. Ici, on garde les produits à haute valeur ajoutée qui offrent de meilleures marges. À l'Est, c'est plutôt de la production de masse, car ils ont les capacités, les faibles coûts de main-d'oeuvre et une législation moins contraignante. " Toutefois, il y aura toujours de la production à l'Ouest, rassure Claire Dorland Clauzel, directrice des communications et membre du Conseil exécutif du Groupe : " Pour nous, il est fondamental de rester dans les pays matures, car c'est là que se trouve le savoir-faire. Et transporter un pneu à travers le monde revient cher en raison de son poids. Alors, il faut le produire localement. "

C'est ce que Michelin compte faire dans les pays émergents. Selon le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA), on dénombre 34 voitures en Chine et 14 en Inde par 1 000 habitants (par rapport à 818 aux États-Unis et 624 au Canada). Ainsi, Michelin estime que d'ici 2030, le parc automobile mondial comptera 500 millions de nouveaux véhicules, principalement dans les pays du BRIC, et totalisera 1,3 milliard de voitures.

Nul doute, il faut y aller, notamment pour rafler le marché de la première monte, qui certes est cyclique et peu lucratif, mais qui donne accès à une clientèle récurrente au moment du remplacement des pneus. " Aujourd'hui, les constructeurs automobiles s'installent là où se trouvent les marchés, explique Philippe Fouet, président de l'Association des entreprises du Massif central et du Centre, fournisseurs de l'industrie automobile (Automac). Et ils s'approvisionnent auprès de sous-traitants locaux. "

Michelin a une autre raison d'y être : la radialisation par le marché du pneu. Dans les économies émergentes, on se tourne de plus en plus vers le fameux pneu radial, une technologie mise au point par la société clermontoise en 1946 et caractérisée par des fils d'acier croisés dans une couche de gomme. La raison en est simple : sa durée de vie est plus longue et sa friction contre le bitume (qui peut brûler jusqu'à 25 % d'un plein !) est moins énergivore. " Un pneu, c'est un achat rationnel, explique l'analyste Éric-Alain Michelis. Quand on a une flotte de camions importante, on opte pour celui qui dure plus longtemps et qui permet d'économiser l'essence. "

Pour répondre à la demande, Michelin ne lésine pas sur les investissements à destination des pays émergents : environ 650 millions d'euros (1 G$ CA) par an. Ceux de 2009 doivent permettre d'augmenter de 40 à 100 % les capacités de production d'ici 2012. Ainsi, Michelin construira une usine de fabrication de pneus pour les poids lourds et le génie civil en Inde, et une autre qui produira des pneus pour le tourisme et les camionnettes au Brésil.

Cependant, la société ne se contente pas d'ouvrir des usines. Elle achète des marques et des licences. En juillet dernier, par exemple, elle est devenue l'actionnaire unique de Shanghai Michelin Warrior Tire, une entreprise spécialisée dans l'entrée de gamme. Elle vient également d'augmenter à presque 10 % sa participation dans Hankook Tire, le 1er fabricant de pneus sud-coréen et 8e acteur mondial, afin de mieux connaître le marché et d'accéder à des réseaux de distribution. Malgré tout, le groupe français devrait privilégier une croissance organique là-bas : " Il n'y a pas beaucoup d'acquisitions à faire, estime Éric-Alain Michelis. Cela ne vaut pas la peine d'acheter des usines antédiluviennes sans technologie, sans réseaux et sans normes ".

Rester dans le peloton de tête

Par ailleurs, il faut courir pour innover dans un environnement mouvant et contraignant. En effet, il faut composer avec une réglementation accrue en matière d'émissions de CO2 et de bruit (60 % du bruit d'une voiture serait dû à la friction du pneu sur la route), notamment en Europe, au Japon et en Californie, mais aussi en Chine. De nouvelles normes européennes doivent entrer en vigueur dès 2012, rappelle Dominique Evrard, associé et responsable du secteur automobile au bureau parisien de Deloitte : " Les constructeurs automobiles ont un effort à faire, mais les pneumaticiens travaillent aussi pour contribuer à la réduction des gaz à effet de serre par une diminution du frottement des pneus sur les routes, afin de réduire la consommation de carburant. " Et pour les fabricants de véhicules, ces réductions de CO2 sont nettement plus faciles à réaliser que ne le serait le développement d'une nouvelle aérodynamique ou d'un nouveau moteur...

Michelin a déjà répliqué avec l'Energy Saver, mis au point en 1992 et dont la quatrième génération vient de sortir. " Avec son Energy Saver, Michelin a pris une longueur d'avance et elle peut encore réaliser des gains pendant longtemps ", souligne Philippe Fouet, de l'Automac, non sans inquiétude.

C'est pourquoi Michelin continue de mettre la gomme sur ses capacités cérébrales : bon an mal an, elle consacre entre 3 et 4 % de son chiffre d'affaires à l'innovation, ce qui, en 2008, représentait 500 millions d'euros (791 M$ CA). Signe qui ne trompe pas, Michelin consacrera quelque 100 millions d'euros (158,7 M$ CA) à la construction d'un bâtiment de 55 000 m² à Clermont-Ferrand, pour regrouper 1 600 des 6 000 chercheurs et ingénieurs éparpillés en Europe, aux États-Unis et au Japon. Le but ? Réduire le temps nécessaire à la mise en marché des fruits de sa recherche. Pour les voitures de tourisme, cela reviendra à gagner deux ans. " Nous sommes dans une véritable course de vitesse, car il faut accélérer la mise en marché de nos innovations, admet Claire Dorland Clauzel. Mais c'est aussi une course à obstacles, car nous devons relever un défi technologique constant. "

Un de ses prochains défis, c'est la voiture électrique. Ce ne sera pas une révolution, car, selon Deloitte, elle représentera seulement 20 % du parc automobile mondial dans un horizon de dix ans. Il reste que Michelin doit s'assurer que le frottement de son pneu contre la route utilise le moins d'énergie possible, car l'enjeu de la voiture électrique, c'est son autonomie. " Mais quelle que soit la motorisation d'une voiture, elle aura toujours des roues et des pneus, fait remarquer Dominique Evrard, de Deloitte. Michelin devrait donc voir l'avenir en rose. "

Pour le moment, la multinationale doit préparer sa sortie de crise, car la demande en pneu, alimentée par des achats qui ont été reportés dans l'attente de jours meilleurs, connaîtra une embellie. " Dès que l'économie remontera, il y aura un rattrapage assez fort, prévoit l'analyste Éric-Alain Michelis. Les grossistes n'ont plus de stocks. Donc, le marché du pneu bondira de 10 à 15 % pendant un an ou deux. " Toutefois, en ce qui a trait au long terme, le délégué syndical Emmanuel Pasquier s'avoue plus inquiet : " Michelin est une société bien gérée. Mais à force de benchmarking et de tableaux financiers, elle est en train de trahir ses valeurs et de perdre sa culture. Elle est à la croisée des chemins : si elle continue comme cela, elle perdra l'adhésion de ses employés. "

MICHELIN, C'EST...

Une présence dans 170 pays

68 sites de production

177 millions de pneus (produits par an)

177 500 employés (temps partiels compris)

6 000 employés en R-D dans 3 centres de R-D (Europe, États-Unis, Japon)

16 millions de cartes et de guides touristiques

PART DE MARCHÉ DES 10 PREMIERS FABRICANTS EN 2008

1 | 16,7 % | Bridgestone (Japon)

2 | 16,3 % | Michelin (France)

3 | 13,2 % | Goodyear (États-Unis)

4 | 5,8 % Continental(Allemagne)

5 | 4,3 % Pirelli (Italie)

6 | 3,5 % Sumitomo(Japon)

7 | 2,8 % Yokohama(Japon)

8 | 2,6 % Hankook(Corée du Sud)

9 | 2,1 % Cooper(États-Unis)

10 | 1,9 % KumhoCorée du Sud

SOURCE : TIRE BUSINESS

audeperron@me.com

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